vendredi 20 avril 2012

Le Moyen-Orient des (éternels ?) perdants arabes

Le Moyen-Orient des (éternels ?) perdants arabes:
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Jean-Patrick Grumberg : Le Dr Mordechai Kedar, maître de Conférences au Département d’Arabe de l’Université Bar Ilan, Israël, et chercheur associé au Centre Begin-Sadat de recherches stratégiques de l’Université Bar Ilan donnait des clefs, lors d'une conférence, qui permettent de mieux appréhender la dimension géopolitique des "printemps arabes" et des tensions de cette région mal traitée et maltraitée.
Extraits.
La situation actuelle de dictature et de corruption (au Moyen Orient) est l’aboutissement de ce que beaucoup de gens dans cette partie du monde ignorent. Prenez tous les États musulmans en commençant par le Bangladesh à l’est, puis le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, le Yémen, l’Égypte … la Libye, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, la Somalie : aucun de ces pays n’a été créé par sa population ; les frontières qui délimitent ces États, ont été dessinées par le colonialisme.
Quand ils ont tracé ces frontières, les Britanniques, les Français et les Italiens n’auraient pas pu agir avec plus d’indifférence à l’égard des autochtones, des groupes ethniques et religieux, des communautés, et des tribus. A l’instar de ce qu’ils ont fait en Afrique, ils ont défini des frontières dont le tracé correspondait à leurs intérêts, l’important à leurs yeux étant l’or, l’argent, le cuivre, le bois, les esclaves et, plus tard, le pétrole. Le colonialisme ne régit plus ces pays depuis des décennies, mais il est encore bien vivant, malheureusement, et cause des morts. La raison en est que l’agonie de tous ces malheureux États est le résultat du fait que chacun d’eux constitue une mosaïque de groupes ethniques et religieux, de différentes communautés et de différentes tribus, dont beaucoup n’ont jamais vécu en paix les uns avec les autres et qui continuent à se faire la guerre jusqu’à aujourd’hui.
La plupart de ces États sont gouvernés par une minorité qui a pris le pouvoir, avec, à leur tête, des dictateurs qui se servent de l’Islam comme d’un alibi en se basant sur un verset du Coran : « Obéis à Allah, obéis aux prophètes et obéis à ceux qui sont responsables de toi ».
Tous ces États sont un échec : pas de démocratie, pas de droits de l’homme, pas de liberté pour les femmes, pas de liberté politique, pas de liberté de la presse, une corruption omniprésente : tout cela parce que ce sont des États illégitimes, gouvernés par des groupes illégitimes, je ne parle pas d’élites parce que ce ne sont pas des élites ; dans trop de cas, en effet, ceux qui gouvernent sont assoiffés de sang.
Telle est l’origine du problème. 
Dans cet ensemble, il y a des pays qui n’ont pas ces problèmes congénitaux, à savoir, les Emirats du Golfe (à l’exclusion de Bahreïn), plus précisément, le Koweït, le Qatar et sept des Émirats Arabes Unis : Dubaï, Abou-Dhabi, Ras-al Haima, etc… et ils sont prospères. Vous vous direz sûrement que c’est à cause du pétrole, mais c’est faux, il y a plus de pétrole en Irak que dans les États du Golfe, la Libye aussi a du pétrole.
Alors, pourquoi l’Irak et la Libye ont-ils eu des dictateurs … la raison est sociologique. L’Irak et la Libye sont un conglomérat de tribus et de religions ; en Irak, il y a dix religions différentes ; je peux les énumérer si vous le voulez : il existe différentes communautés comme les Chiites et les Sunnites et des groupes ethniques comme les Kurdes, les Arabes, les Turkmènes et autres. Par contre chaque émirat du Golfe est constitué d’une seule tribu ; c’est pour cela qu’il n’y a pas de luttes internes : ils peuvent s’asseoir et chanter en chœur autour d’un feu de camp. Une telle chose ne peut se produire dans un autre État arabe et cela ne se produira jamais tant que ces États resteront dans les frontières qui ont été fixées, il y a des siècles ou des décennies, par le colonialisme.
Tel est le problème de ces États. Le problème c’est que, historiquement, des Européens ont amalgamé des groupes de populations qui n’avaient jamais vécu ensemble en harmonie et en paix ; aussi continuent-ils à se battre. Il suffit de voir ce qui se passe entre Sunnites et Chiites, qui s’affrontent toujours, depuis près de quatorze siècles, et se battent pour savoir qui, de Ali ibn Abi T̩alib ou Muawiya ibn Abi Sufyan, était le calife légitime au VIIème siècle.
Ils continuent à se battre pour cela. 
Imaginez que l’Amérique se scinde en deux camps, un camp qui soutient George W. Bush et l’autre qui soutient Al Gore et que ces deux camps se combattent pendant 14 siècles ! C’est ce qui s’est passé entre les Musulmans sunnites et les Musulmans chiites, qui ont des cultures différentes, des manières de voir différentes.
Tel est, en fait, le problème du Moyen-Orient : unifier des groupes qui ne sont pas capables de vivre ensemble – ils sont capables de mourir ensemble mais pas de vivre ensemble. C’est le résultat de la création de ces États ratés du Moyen-Orient et d’Afrique aussi, je pense, parce que si l’on remonte aux sources – par exemple aux atrocités qui ont eu lieu au Biafra dans les années 70 et au Rwanda dans les années 90 –, je pense que le problème était identique.
Alors, quelle est la solution, quelle sera la fin de jeu ? 
La seule solution aux problèmes du Moyen-Orient – qui exporte aimablement ses problèmes ici, dans cette partie du monde –, c’est de reconsidérer le colonialisme, ou plutôt les résultats du colonialisme, ce qui implique de laisser ces gens, ou ces peuples, ces nations, ces groupes, redessiner eux-mêmes leurs frontières communes.
Que veux-je dire par là ? Savez-vous qu’il existe, en Afghanistan, neuf groupes ethniques qui ne parlent pas la même langue, qui pensent différemment, qui ont des lois différentes, qui ont des manières de voir différentes, des objectifs différents, des approches différentes sur tout. Qui donc peut imaginer qu’un jour ils soient capables de former ensemble un État solide et stable ? Quand la société est fragmentée, il ne peut y avoir de système politique qui marche, et quand il n’y a pas de système politique qui marche, il est vain de s’acharner sur un corps politique mort.
Ce qu’il faudrait faire, c’est prendre un crayon bien taillé et diviser l’Afghanistan en États pour chaque groupe ethnique ou chaque tribu, exactement comme à Dubaï. Dubaï, comme vous le savez, n’a pas de pétrole, Dubaï fait du commerce, il n’a même pas besoin d’avoir du pétrole. Quand votre manière de voir les choses est normale, vous ne vous battez pas, et, comme chacun sait, les hautes clôtures favorisent les relations de bon voisinage.
Aujourd’hui nous approchons peut-être de l’échéance d’un nouvel État arabe raté, la Palestine est déjà divisée entre Gaza et la Cisjordanie et ceux qui pensent que le Hamas abandonnera ne serait-ce qu’un pour cent de son indépendance – l’indépendance qu’il a dans la bande de Gaza – ne savent pas de quoi ils parlent. 
Gaza, d’un côté, et la Cisjordanie de l’autre, ne formeront jamais une entité, en raison des différences de culture et de société. Plus de 90 % des habitants de Gaza sont des Bédouins venus des déserts du Moyen-Orient, que ce soit du désert du Sinaï ou d’Arabie Saoudite, ou du Néguev israélien, ou de Jordanie ; ceux qui vivent en Cisjordanie sont des citadins et des villageois – madahim et fellahim. Ils viennent de cultures totalement différentes. C’est comme si vous essayiez de former un État commun aux Esquimaux et aux Aborigènes, ils sont si différents les uns des autres, ils ne peuvent pas se parler, ils ont des mentalités différentes, cela ne peut pas marcher ; et c’est exactement ce qui se passe entre Gaza et la Cisjordanie. Leurs dirigeants n’ont pas le même âge, les chefs de l’OLP ont en moyenne entre 60 et 70 ans ; les chefs du Hamas ont en moyenne entre 30 et 40 ans, peut-être un peu plus, et ils n’ont pas la même mentalité. À Gaza, ils représentent surtout ceux qui vivent dans des camps de réfugiés, alors que ceux de Cisjordanie ne veulent même pas entendre parler des réfugiés : ils les ignorent. Donc, encore une fois, les objectifs sont différents.
Ici, quand les gens pensent à la paix au Moyen-Orient, c’est d’un point de vue américain, parce qu’en Amérique, la mentalité est telle que l’on pense pouvoir faire la paix avec n’importe qui. 
En réalité, l’Amérique a été bâtie sur un rêve par des gens qui sont venus de tous les coins du monde : d’Afrique, d’Europe, d’Amérique du Sud, etc., et ils ont le même rêve américain de vie, de liberté et de quête du bonheur. Au Moyen-Orient, les gens n’ont pas de rêves, ils vivent dans un environnement extrêmement rude : dans le désert ; et quand vous vivez dans le désert, si vous ne tuez pas, c’est vous qui êtes tué, et c’est l’essence du tribalisme. Une tribu ce n’est pas seulement un groupe de personnes de la même famille, une tribu est avant tout une milice combattante constituée de parents ; elle a ses propres intérêts, son drapeau, son dialecte, son hymne et dès que quelqu’un ouvre la bouche, tout le monde sait de quelle tribu il vient […] Telle est la partie qui se joue au Moyen-Orient : seuls les puissants survivent et seuls les invincibles peuvent accéder à la paix.
Malheureusement, Israël n’est pas considéré comme un État invincible.
À propos d’invincibilité, je peux prouver ce que je dis : l’Égypte a fait la paix avec Israël – en fait, Sadate, pas l’Égypte –, Sadate a fait la paix avec Israël après l’échec de l’Égypte en 1948, en 1956, en 1967 et en 1973. En 1975, quand les pourparlers entre Touami, le Premier ministre égyptien et Dayan ont commencé au Maroc, c’était après que Sadate ait pris conscience qu’Israël était invincible. C’est la raison pour laquelle Israël a obtenu la paix avec l’Égypte, pas pour une autre raison. L’OLP a signé un accord avec Israël seulement après l’échec – l’échec total – de la première Intifada qui s’est terminée en 1992. Telle est, en fait, l’essence de la paix : celui qui veut la paix – et c’est la raison pour laquelle j’ai quitté le mouvement Netivot Shalom (un petit mouvement religieux affilié à Shalom Akhshav – la Paix Maintenant) –, celui qui veut la paix (Salaam) est considéré comme quelqu’un qui capitule, car s’il demande la paix c’est qu’il a été vaincu et quémande la paix par crainte pour sa vie.
Il existe en Israël beaucoup de mouvements pacifistes et les Arabes interprètent cela comme la preuve d’une société faible, une société qui n’a pas de dignité, qui mérite un bon coup de pied et doit être jetée à la mer. 
C’est parce qu’Israël aspire à la paix que cet objectif n’a pas été atteint jusqu’à aujourd’hui.
Israël aurait dû dire à ses voisins : « Messieurs, nous sommes ici et nous comptons bien y rester pour toujours, qu’est-ce que vous, vous nous donnez en échange de la paix ?. En fait nous n’avons pas besoin de vous parce que nous sommes un État démocratique, nous sommes à l’avant-garde de l’industrie mondiale, nous avons un PIB d’environ 35 000 dollars par an, par habitant, alors que vous n’atteignez pas 400 dollars, et même moins dans beaucoup d’États arabes ; si la société Intel est installée en Israël ce n’est pas pour nos beaux yeux mais à cause de nos cerveaux ; c’est ça Israël ; que nous donnez-vous pour avoir la paix avec nous ? » Voilà quelle aurait dû être l’approche !
Malheureusement, Israël n’utilise pas le discours adéquat quand il discute avec ses voisins avec un langage qu’ils sont capables de comprendre.
Israël existera pour toujours quand ses voisins comprendront que la donne actuelle est terminée. Ils [les Arabes] doivent s’atteler à leurs problèmes spécifiques, redéfinir des frontières qui correspondent à leurs délimitations territoriales, et édifier leurs sociétés respectives comme l’ont fait les émirats du Golfe. Ce qui mènera à un nouvel évangile au Moyen-Orient : la paix entre eux, puis avec Israël, comme conséquence.
© Mordechai Kedar
Adapté par Menahem Macina et Danilette

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