samedi 21 avril 2012

Le fil invisible, entre Günter Grass et David Grossman, par Pierre Itshak Lurçat

Le fil invisible, entre Günter Grass et David Grossman, par Pierre Itshak Lurçat 20/04/2012 Repris du Blog « Vu de Jérusalem », 11 avril 2012 [P. I. Lurçat, ce n'est pas un mystère, appartient à un courant qui résiste au délitement de l'esprit national israélien, sous les attaques déloyales d'une gauche post-sioniste qui est "tendance" en Europe et fait la joie des ennemis de l'Etat juif. Dans un style réservé, mais pénétrant, Lurçat démasque, avec lucidité et courage, la dépendance quasi vénale d'écrivains israéliens adulés pour leur haine pathologique de la droite israélienne, en général, et de Benjamin Nétanyahou, en particulier. Son analyse est particulièrement pertinente. (Menahem Macina).] Dans son roman, Le livre de la grammaire intérieure, David Grossman décrit un enfant qui refuse de grandir et veut échapper à tout prix à la folie du monde des adultes, au point de se suicider. Ce thème est similaire à celui du Tambour, œuvre maîtresse du romancier allemand Günter Grass. Il n'y a apparemment aucune signification politique dans cet emprunt littéraire, mais il nous dit quelque chose sur les références culturelles du romancier israélien, dont l'œuvre - très appréciée dans son pays - l'est au moins autant en Europe, où il fait partie du « triumvirat » des écrivains israéliens (Amos Oz, A.B. Yéhoshua et Grossman) les plus cités et reconnus. Une chose relie pourtant les deux écrivains « engagés », à travers cet emprunt littéraire : dans le Tambour, le jeune Oskar refuse de grandir dans l'Allemagne nazie. Dans le Livre de la grammaire intérieure, Aaron veut échapper au monde israélien de la période de la Guerre des Six Jours. Dans les deux cas, l'écrivain exalte la pureté et l'innocence du monde des enfants, opposées à la folie meurtrière des adultes, nazis dans le premier cas, Israéliens dans le second. Le Tambour, film de Volker Schlöndorff tiré du roman de G. Grass Cette symétrie m'est revenue à l'esprit en suivant la polémique déclenchée par les propos scandaleux de l'écrivain allemand – dont j'avais aimé, autrefois, l'adaptation cinématographique de son grand roman. Quand Günter Grass accuse Israël de « menacer la paix mondiale » et de vouloir « l'éradication du peuple iranien », il recourt au procédé de l'inversion, consistant à accuser Israël des crimes de ses ennemis, procédé devenu très courant dans la vulgate politique européenne, ces dernières décennies, au moins depuis la Première Guerre du Liban (quand Beyrouth assiégée par les soldats de Tsahal était devenue Varsovie, aux yeux d'une certaine presse)… Les condamnations presque unanimes des propos de Grass tiennent sans doute largement au fait que l'écrivain avait dévoilé publiquement, il y a quelques années, son appartenance aux Waffen-SS dans sa jeunesse, devenant de ce fait indéfendable. Mais curieusement, ceux-là mêmes qui ont dénoncé justement les propos de Günter Grass ont applaudi des deux mains à un article de David Grossman sur le même sujet, aboutissant à une conclusion similaire, même si le ton employé est très différent. S'interrogeant sur la légitimité et l'opportunité d'une attaque préventive israélienne contre l'Iran, Grossman accuse en effet le Premier ministre Nétanyahou de recourir à une «rhétorique apocalyptique» et d'être prêt à sacrifier des civils iraniens innocents et à déclencher une «catastrophe immédiate et annoncée» pour éviter un risque hypothétique… Le débat sur l'opportunité d'une attaque contre l'Iran est certes légitime, et il se poursuit en Israël depuis déjà plusieurs années (on se souvient de l'intervention fracassante de l'ancien chef du Mossad, Meir Dagan - en photo ci-contre -, il y a quelques mois). Ce qui est moins légitime, c'est la manière dont Grossman justifie son opposition à une attaque israélienne contre l'Iran. Tout d'abord, parce qu'il choisit de s'exprimer dans un quotidien français, au lieu de présenter ses arguments au public israélien, premier concerné. Ensuite, parce qu'il accuse Nétanyahou d'utiliser une rhétorique apocalyptique et de faire des «références constantes à la Shoah» (accusation récurrente de la gauche israélienne, qui l'employait déjà contre Menahem Begin à l'époque du bombardement de la centrale irakienne d'Osirak). Cette accusation est d'autant moins fondée qu'Israël fait face à l'Iran d'Ahmadinejad, qui est, pour le coup, le maître de la rhétorique apocalyptique… On retrouve ici – sous la plume de Grossman – le procédé de l'inversion utilisé par Günter Grass. Or, si l'on peut parler de «rhétorique apocalyptique» dans le discours politique israélien, c'est plutôt du côté de la gauche, toujours prompte à menacer de catastrophes imminentes si Israël ne fait pas de concessions territoriales et n'accepte pas les exigences de ses ennemis… L'histoire récente d'Israël est parsemée de prévisions apocalyptiques de la part des tenants du «camp de la paix», depuis la menace démographique (à l'époque du processus d'Oslo) et jusqu'au «tsunami politique» promis en septembre dernier si le gouvernement n'acceptait pas tous les diktats palestiniens pour retourner à la table des «négociations»… Grossman est représentatif de cette gauche israélienne, devenue depuis longtemps ultra-minoritaire dans l'opinion israélienne, qui se tourne exclusivement vers le public occidental, européen ou américain, pour trouver une oreille attentive à ses propos acerbes contre le gouvernement israélien, surtout lorsqu'il est de droite… La haine envers Nétanyahou qui règne dans une large partie de l'establishment culturel et politique de gauche israélien n'a rien à envier à celle que lui vouent beaucoup de journalistes en Europe et ailleurs. (Sans parler d'Avigdor Lieberman, devenu lui aussi la bête noire de tous les bien-pensants). Pour apprécier à leur juste valeur les propos de Grossman concernant l'Iran, il faut se souvenir qu'il appartient à un mouvement politique (La Paix maintenant), financé par l'Union européenne, qui s'est régulièrement trompé depuis trois décennies… Les intellectuels et artistes comme Grossman ou Amos Gitaï doivent une grande partie de leur notoriété en Europe à leurs attaques contre le gouvernement de leur pays (il y a quelques mois encore, Grossman s'interrogeait publiquement sur son désir de quitter le pays et des centaines – voire des milliers – d'Israéliens d'extrême-gauche ont déjà franchi le pas et sont aujourd'hui résidents d'Europe ou d'Amérique, où on les retrouve souvent aux premiers rangs des appels au boycott d'Israël…) Le lien entre Grass et Grossman évoqué ci-dessus ne se limite pas, en définitive, à un simple emprunt littéraire. La fondation Günter Grass a en effet accordé à Grossman le prix Albatros en 2008. Ce n'était pas le premier prix allemand décerné à l'écrivain israélien, qui avait déjà obtenu le «Buxtehuder Bulle», et il est également Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres. D'autres écrivains israéliens ont reçu des prix en Europe, et notamment en Allemagne, comme Amos Oz, titulaire du Prix Goethe. On peut y voir une simple marque d'estime et de reconnaissance pour leur talent d'écrivain. Mais ce serait une erreur, à mon avis. Car ces prix prestigieux, parfois dotés de montants considérables, créent des liens de dépendance et d'allégeance entre les écrivains israéliens et les pays européens, connus pour leur hostilité à la politique israélienne. On peut se demander si les prises de position d'Amos Oz ou de David Grossman – comme l'opposition de ce dernier à une attaque israélienne contre l'Iran – ne sont pas en définitive la contrepartie, ou le tribut versé par ceux-ci, pour « mériter » les prix reçus en Europe. Car l'emprunt littéraire de Grossman à Günter Grass est, lui, gratuit et ne tire pas à conséquence. Mais les dons reçus, en tant que Prix, de la Fondation Günter Grass et d'autres organismes allemands, sont eux, à titre onéreux : le prix à payer, pour David Grossman comme pour les autres écrivains-pacifistes adulés des médias européens, est de continuer encore et toujours à accuser le gouvernement et l'Etat d'Israël, et à s'opposer à toute action militaire de Tsahal, à Gaza ou en Iran, fût-ce contre des ennemis voués à notre destruction. © Pierre-Itshak Lurçat

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