mercredi 2 octobre 2013

La Guerre froide et le mur de Berlin



Après sa capitulation le 8 mai 1945, l'Allemagne est divisée en trois, puis quatre zones d'occupation sous administrations soviétique, américaine, britannique et française, conformément à l'accord conclu à la conférence de Yalta. Berlin, la capitale du Troisième Reich, d'abord totalement occupée par l'Armée rouge doit également être partagée en quatre secteurs répartis entre les alliés. Les Soviétiques laissent alors aux Occidentaux les districts ouest de la ville qui se retrouvent ainsi totalement enclavés dans leur zone d'occupation, le secteur resté sous contrôle soviétique représentant à lui seul 409 km2, soit 45,6 % de la superficie de la ville2. La position et l'importance de Berlin en font un enjeu majeur de la guerre froide qui s'engage dès la fin des hostilités.


1. L'Allemagne, théâtre de la première crise entre les deux Grands
Le « coup de Prague », en juin 1948, qui fait de la Tchécoslovaquie un satellite de l'URSS, est vu par les Occidentaux comme le signe du danger de l'expansionnisme soviétique. États-Unis, Royaume-Uni et France décident donc d'accélérer dans leur zone la reconstitution d'un État allemand économiquement et politiquement fort, capable de faire barrage au communisme. Cette « trizone » est pour Staline une violation des traités ; il décide d'en faire autant en fermant les liaisons terrestres entre Berlin et l'Allemagne occidentale, qui n'avaient pas fait l'objet d'accords entre les quatre puissances occupantes, contrairement aux accès aériens. Une épreuve de force s'engage, qui préfigure le véritable début de la guerre froide, car les armées des deux blocs y sont face à face. La réaction américaine au blocus est immédiate et consiste en un pont aérien de C-54 pour ravitailler Berlin-Ouest. Après 11 mois, en mai 1949, Staline doit renoncer au blocus. Cette première crise de Berlin est révélatrice, car elle officialise concrètement la dislocation de la Grande Alliance et révèle les règles implicites de la guerre froide : les Occidentaux n'ont pas cherché à forcer le blocus terrestre et les Soviétiques n'ont pas entravé le pont aérien, cette maîtrise réciproque évitant la guerre. Cette situation aboutit à la constitution en septembre/ octobre 1949 de deux États, la RFA (République fédérale d'Allemagne) et la RDA (République démocratique allemande). Elle est aussi à l'origine de la signature, en avril 1949, du traité de l'Atlantique Nord, avant la mise en place l'année suivante de l'organisation du même nom (OTAN). C'est aussi par peur d'une renaissance du militarisme allemand que certains États européens essaient de lancer la construction européenne en créant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), en avril 1951. Le refus de la France du projet d'une armée commune (CED, Communauté européenne de défense), en 1954, pousse les Américains à imposer l'intégration de la RFA dans l'OTANdès octobre 1954, ce qui a pour effet d'entraîner aussi un réarmement de laRDA et surtout la création du pendant oriental de l'OTAN, le pacte de Varsovie, en mai 1955.

2. Les deux Allemagne, vitrines des deux modèles concurrentsLa crise de Berlin transforme la ville symbole de l'hitlérisme en un symbole de résistance à l'expansion du communisme et confirme la réintégration rapide de l'Allemagne occidentale dans le camp des démocraties libérales. Berlin-Ouest est pour les Américains une position géopolitique exceptionnelle et peut donc devenir pour les Occidentaux une « ville du front » de la guerre froide, un avant-poste de l'Occident, une vitrine scintillante du capitalisme au cœur d'un monde socialiste démuni. C'est aussi une base d'espionnage et de propagande avancée et un bureau de recrutement aisément accessible pour la main-d'œuvre allemande qui souhaite passer d'Est en Ouest. Berlin-Est se veut un modèle de socialisme architectural, un foyer révolutionnaire. Mais la disparition de Staline en mars 1953 et le relèvement de 10 % des normes de production en RDA (ce qui équivaut à une augmentation du temps de travail sans augmentation de salaire) provoque le soulèvement des ouvriers dans la plupart des villes du pays. Le 17 juin 1953, aux cris de « Nous ne sommes pas des esclaves ! », « Élections libres », « Grève générale », des dizaines de milliers de manifestants se heurtent à la police de Berlin-Est renforcée par les chars soviétiques, à l'appel du stalinien Walter Ulbricht. On estime le nombre des victimes, pour l'ensemble de la RDA, à 500 morts.

3. La seconde crise de BerlinEn 1960-1961, Khrouchtchev, qui a remplacé Staline, hésite à pousser la coexistence pacifique qu'il a proposée aux Américains : l'URSS doit faire face à la rupture avec la Chine et au mouvement des non-alignés mené par la Yougoslavie. Il doit pourtant mettre un terme à l'hémorragie de population qui quitte la RDA pour la RFA en passant par Berlin-Ouest (déjà 1,6 million de personnes, soit l'équivalent de la population de Berlin-Est) – ce qui constitue un désaveu du régime communiste. Un mur de 46 km de long est construit à Berlin dans la nuit du 12 au 13 août 1961. Franchir le Mur constitue un crime et une trahison : la photographie d'un membre de la police des frontières est-allemande (un Vopo, abréviation de Volkspolizei) sautant par-dessus les barbelés, le 15 août 1961, fait le tour du monde. Même si la propagande est-allemande vante la construction du Mur comme « protection antifasciste » pour éviter une agression venue de l'Ouest, celui-ci est entièrement orienté vers l'intérieur et ne vise pas à empêcher les entrées mais à interdire les sorties. Comme en 1953, les Occidentaux n'interviennent pas, ce qui est une nouvelle déception pour de nombreux Allemands.

Dès 1947, il apparaît clairement que l'Allemagne et Berlin représentent des enjeux cruciaux dans le conflit qui oppose les deux Grands, chacun étant persuadé des volontés impérialistes et expansionnistes du camp adverse. La gestion du blocus par l'URSS et les États-Unis révèle que si la paix est impossible, la guerre est improbable – ce qui constitue une dimension fondamentale de la guerre froide. Mais la coexistence pacifique qui suit la mort de Staline déçoit des Allemands qui ont l'impression, en 1953 comme en 1961, d'être quelque peu abandonnés par le bloc occidental.


1. La RFA, moteur de la construction européenne
Méfiant envers l'alliance américaine, le chancelier ouest-allemand Adenauer est prêt à se rapprocher de la France de de Gaulle, qui vient, en février 1960, de faire le premier essai de lancement de la bombe A. En janvier 1963, le traité de l'Élysée scelle la réconciliation franco-allemande et fait naître un nouveau couple qui s'impose comme le moteur de la construction européenne. Pour se réconcilier avec les Allemands, le président américain J. F. Kennedy se rend à Berlin-Ouest, le 26 juin 1963, et prononce devant le chancelier Adenauer et le maire Willy Brandt un célèbre discours de soutien à la réunification.

2. L'Allemagne au cœur de l'amélioration des relations Est/ OuestLa période de détente, qui s'ouvre après la crise de Cuba, est surtout visible en Europe, notamment en RFA. Dès son arrivée au pouvoir en 1969, le social-démocrate Willy Brandt souhaite, pour préserver l'avenir interallemand et normaliser les rapports entre les deux Allemagne, mener une politique réaliste « d'ouverture à l'Est » baptisée Ostpolitik. Son homologue Honecker est aussi prêt à faire des concessions. À la suite de voyages à Moscou, Varsovie et Jérusalem en 1970 et 1971, Brandt normalise les relations avec l'URSS et reconnaît l'inviolabilité de la frontière avec la Pologne et la responsabilité de l'Allemagne dans le génocide juif. Sa politique, qui lui vaut le prix Nobel de la paix, est couronnée de succès : en décembre 1972, les deux Allemagne signent le traité fondamental par lequel elles se reconnaissent mutuellement (d'où l'admission simultanée des deux pays à l'ONU en septembre 1973). Autre symbole médiatique, en 1974, les deux nations se rencontrent durant la Coupe du monde organisée en RFA. Ce rapprochement est à l'origine de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) d'Helsinki, qui s'ouvre en 1973, rassemblant tous les États européens y compris l'URSS plus les USA et le Canada, et qui s'achève avec la signature des accords d'Helsinki, en août 1975.


3. L'Allemagne et la crise des euromissilesÀ partir de 1975, l'URSS profite du repli américain pour étendre sa zone d'influence : en Europe orientale, Moscou installe en 1977 des missiles SS 20. Il faut attendre l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan pour assister à une contre-attaque de Washington : les États-Unis décident, en 1983, l'installation de missiles Pershing II qui peuvent atteindre Moscou, ce qui déclenche la guerre fraîche. En RFA, on assiste au développement du pacifisme avec de puissantes manifestations, en octobre 1983, dans les grandes villes (y compris Berlin-Ouest). Les pacifistes s'écrient Lieber rot als tot ! « Plutôt rouges que morts ! », considérant qu'ils ne doivent pas mourir pour une guerre qui n'est pas la leur, mais qui relève d'un règlement de comptes américano-soviétique.
Les pacifistes de l'Allemagne de l'Est étendent leurs revendications aux questions d'environnement et surtout de respect des droits de l'homme.

À partir de 1962, les intérêts allemands et américains divergent. Cela se traduit pour la RFA par des accords bilatéraux avec la France et avec les démocraties populaires, et par un rejet de la politique agressive des États-Unis en Europe au début des années 1980.

1. Gorbatchev et la fin de la souveraineté limitée de la RDA
À partir de 1985, le nouveau premier secrétaire du PCUS, Mikhaïl Gorbatchev, souhaite mettre fin à la politique soviétique de souveraineté limitée des démocraties populaires, dite « doctrine Brejnev », et promeut la glasnost(transparence) qui doit favoriser la liberté d'expression et l'accès à l'information. Mais il est rapidement débordé. En Pologne, des élections semi-libres sont organisées en août 1989, amenant au pouvoir le premier gouvernement non-communiste du bloc de l'Est. Dans le même temps, Gorbatchev assure aux dirigeants réformistes hongrois que leur pays pourra quitter le pacte de Varsovie. Ceux-ci entreprennent immédiatement de démanteler le rideau de fer séparant la Hongrie de l'Autriche. Par la brèche ainsi ouverte, 720 000 Est-Allemands gagnent l'Ouest et passent en République fédérale.

2. La chute du mur : la levée du rideau de ferAprès la visite de Gorbatchev en Allemagne de l'Est en octobre 1989, des manifestations populaires réclament des réformes démocratiques et la fin du monopole communiste, en scandant : Wir sind das Volk « Nous sommes le peuple ». Le dirigeant Honecker est poussé à la démission. Le 9 novembre 1989, le mur qui coupe Berlin en deux est abattu par la population. Des élections renversent le pouvoir communiste. À partir de là, en Europe centrale et orientale, les régimes communistes tombent les uns après les autres.




3. La difficile réunificationLe 3 octobre 1990 est signé le traité 4 + 2 (4 puissances occupantes et 2 Allemagne) marquant l'unification de l'Allemagne. La RDA se fond dans laCEE et Berlin redevient la capitale du pays. Mais cette réunification ne va pas sans poser de problèmes pour l'Allemagne et aussi pour l'ensemble de l'Europe.

Jusqu'en 1962-1963, c'est la guerre froide qui régit les rapports interallemands, mais à partir de la détente, les Allemands tentent de gérer leur division entre eux et de ne plus dépendre du bon vouloir des deux Grands. Voici donc un excellent exemple de l'évolution des relations internationales entre 1947 et 1991 : si celles-ci sont d'abord conditionnées par la bipolarisation Est/ Ouest, elles échappent peu à peu à cette logique duale avec l'arrivée de nouveaux acteurs, comme la communauté européenne à l'Ouest et la société civile à l'Est.

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