jeudi 29 août 2013

Faut il croire en Dieu?





De plus en plus d'intellectuels ou d'écrivains s'en réclament. Les scientifiques continuent de spéculer sur son existence. Les athées militants contribuent à la polémique. N'en déplaise à Nietzsche, Dieu n'est pas mort. Peut-on raisonnablement faire l'inventaire des raisons d'y croire? On peut...


"Douter de Dieu, c'est y croire", disait Pascal.



1. Parce qu'à l'horloge il faut un horloger

Cet argument est l'un des plus vieux de l'histoire de la philosophie. On le trouve dans la Physique d'Aristote (né en 384 av. J.-C.), disciple de Platon et précepteur d'Alexandre le Grand: tout être en mouvement reçoit son mouvement d'un autre être, tel le stylo qui écrit reçoit le mouvement de ma main. On pourrait remonter à l'infini, de mouvement en mouvement, mais voilà: le monde d'Aristote est clos et fini, d'une rotondité parfaite. Tôt ou tard, il faut bien se heurter à un premier moteur immobile: Dieu.

L'argument sera repris par la théologie chrétienne, mais dans un contexte radicalement nouveau: le monde aristotélicien, tout rond qu'il est, est éternel. Il tourne depuis toujours. Le monde chrétien, au contraire, a surgi un jour des mains de Dieu. L'image d'un Dieu créateur va alors projeter sur le premier moteur l'ombre du mécanicien. La dynamo divine serait derrière l'instant zéro, tapie sous la première seconde de l'univers. Voltaire et les Lumières conserveront cette image: Dieu est un horloger qui, un beau matin, crinqua les ressorts à fond. Et hop, à la bonne heure.

Cette compréhension du premier moteur se retrouve aujourd'hui dans les interprétations religieuses de la théorie du big bang. La dernière découverte, le boson de Higgs, n'est-elle pas surnommée "particule de Dieu" (voir la preuve suivante)? Rien à voir cependant avec Aristote: son premier moteur n'est pas premier au plan numéraire mais au plan hiérarchique. Surtout, étant immobile, il n'a pas de puissance motrice comme le ressort de l'horloge. Il ne donne pas une chiquenaude au monde pour le mettre en branle, mais il l'enveloppe et l'attire à lui comme le beau attire l'âme. Il transmet le mouvement en suscitant le désir. Il est le bien et la perfection à laquelle l'univers aspire.
2. Parce qu'une particule porte son nom

La découverte de la particule du boson de Higgs (image d'artiste), une avancée majeure pour la compréhension de la formation de l'Univers.

AFP PHOTO / CERN

La "particule de Dieu", dit-on d'un mystérieux boson. Le papa s'appelle en fait Peter Higgs, physicien britannique qui avait postulé son existence dès les années 1960. Si l'on se réfère à la théorie du big bang, le boson de Higgs permet d'expliquer comment les particules élémentaires ont pu acquérir une masse dans les premiers temps de l'Univers. En 1964, Higgs et deux confrères émettent simultanément et indépendamment l'hypothèse qu'elles auraient "engraissé" en se cognant à un boson qu'aucun physicien n'avait encore jamais rencontré.

Ce qui fut découvert au Cern cet été est un nouveau boson dont il reste à prouver qu'il est bien le fils légitime de son papa. Quant à Dieu, il y a autant d'extrapolations à faire pour arriver à lui que d'intermédiaires à franchir pour avoir un conseiller clientèle au bout du fil de votre opérateur télécom. Reprise dans les médias, l'expression "particule de Dieu" n'est qu'une boutade du physicienLeon Lederman, qui voulait parler de cette "nom de Dieu de particule" que tout le monde cherchait sans succès.

Le juron s'est transformé en action de grâce du fait de la proximité de la théorie du big bang avec l'idée d'un Dieu créateur. Supposant un commencement de l'Univers, cette théorie reste aujourd'hui le modèle dominant en physique. Pour certains fondamentalistes, pas de doute: le big bang est bien le "God bang". Interprétation peu respectueuse de son inventeur, le chanoine Lemaître (1894-1966), astronome et prêtre catholique. En 1952, Lemaître dut réfréner l'enthousiasme papal devant la rave cosmique devenue une preuve trop tentante: "J'ai dit commencement, je n'ai pas dit création. Personnellement j'estime que [la théorie du big bang] reste entièrement en dehors de toute question métaphysique ou religieuse." C'est le chanoine qui l'a dit.
3. Sinon tout est permis

Que deviendra l'homme, sans Dieu [...]? Tout est permis, par conséquent?" demande Dmitri Karamazov à Rakitine, jeune arriviste attiré par les sciences nouvelles. "Ne le savais-tu pas? Tout est permis à un homme d'esprit." Un siècle avant Les Frères Karamazov, Voltaire se réjouissait déjà que son valet et sa femme crussent en Dieu - il avait l'impression de se faire moins rouler. Vite dit. Depuis les années 1960, sur fond d'éclipse de Dieu et de perte d'aura des sciences, on assiste un véritable renouveau de la philosophie morale.

Le Singe devant le squelette. Peinture de Gabriel von Max, XIXe siècle.


En France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, jamais la question du juste et de l'injuste n'a été si disputée ni autant théorisée. Sans référence à une transcendance radicale, mais à partir du libre exercice de la raison. Les voies ne manquent pas, indiquant d'abord des styles de raisonnement, des postures: peut être qualifié de moral un acte dont l'impact augmente le bonheur collectif (utilitarisme), respecte des principes moraux qui se trouveraient à l'intérieur de la raison (morale déontologique) ou contribue à la réalisation de soi (éthique des vertus). De son côté, l'éthique évolutionniste - courant de pensée qui inscrit l'apparition de la morale dans l'évolution des espèces - est revenue depuis les années 1980 au premier plan des débats philosophiques. Elle avait été laissée en jachère un demi-siècle durant, après les tentatives darwiniennes de trouver chez certaines espèces animales les prémices de la moralité humaine. L'idée, à nouveau, fait son chemin: ne peut-on déceler dans le comportement des chimpanzés des traces d'empathie, une capacité à se consoler, à se réconcilier, à traiter les membres handicapés du groupe de manière particulière? Alors, sans Dieu, tout est permis? Le bonobo rit de toutes ses belles dents blanches.
4. Parce que le diable existe

L'inverse est plus naturel: l'existence de Dieu n'est-elle pas contredite par un monde où des enfants sont torturés? C'est l'objection du docteur Rieux au père Paneloux dans La Peste(1947), de Camus. Mais, paradoxalement, le mal qui défiait Dieu semble être dans nos discours la dernière trace d'une transcendance. Alors que pour les Anciens le mal était sans profondeur, un simple trou d'être, il retrouve aujourd'hui la figure du sacré. Qu'on se rappelle les Unes du 11-Septembre: "Au-delà du crédible", "Indicible".

Représentation de l'enfer. Peinture flamande du XVe siècle.

The Art Archive / Museo Correr Venice / Alfredo Dagli Orti/ AFP

Loin des gros titres, la mémoire de la Shoah est le lieu également d'un langage intransitif, dressé à la verticale du monde. Pour s'opposer en 1994 au film de Steven Spielberg La Liste de Schindler, Claude Lanzmann rapatrie les mots et les interdits de l'absolu: "L'Holocauste est d'abord unique en ceci qu'il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas franchir parce qu'un certain absolu d'horreur est intransmissible. La fiction est une transgression, je pense profondément qu'il y a un interdit de la représentation." Ce langage de l'extrême laisse l'horreur en suspens, l'empêchant de se dissoudre dans les aléas de l'Histoire ou les explications sociologiques. Cette expérience moderne n'est pas une question de nombre de morts, de degré de souffrance, puisque cela contredirait la notion même d'absolu. Mais sur quoi fonder un tel discours, sinon l'impossibilité de tout autre discours? Face au mal, la raison n'offre que deux possibilités: en reconnaître malgré tout la "banalité" - c'est le regard qu'Hannah Arendt porte sur Eichmann lors de son procès à Jérusalem: portrait d'un homme "tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque ni monstrueux" - ou affirmer la possibilité de sa radicalité, au risque de l'absolu.
5. Chaque fois que j'écoute Bach

Forcément, ça marche moins bien avec les Rita Mitsouko... Un petit peu mieux avec la Messe en ut mineur de Mozart. Mais avec Bach, le Magnificat ou la Passion selon saint Jean, là, c'est direct, l'autoroute vers le ciel. "Il parle un langage qui va au tréfonds de l'âme, un langage qui fait croire", disait de lui Julien Green, le jugeant plus profond que Mozart. Des deux, c'est toujours le premier qui gagne. Mozart? Trop mécanique. Alors que Bach transporte nos sens aux portes de l'éternité. Le temps d'une brève extase, il redonne espoir aux plus amers, tel Cioran: "S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu", confessait ce grand pessimiste.

D'autres ne s'en remettent jamais, comme le poète Paul Claudel, athée convaincu qui franchit le jour de Noël 1886 le porche de Notre-Dame: "Les enfants de la maîtrise étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. En un instant mon coeur fut touché et je crus." Si le ciel s'ouvre soudain au-dessus de sa tête, il garde les pieds sur terre: "J'étais debout, près du deuxième pilier, à droite, du côté de la sacristie." Au cas où la police l'interrogerait. Personne n'était mort pourtant, sinon le vieil homme en lui. Et si ce jour-là Mlle Le Long Bec avait entonné Il est né le divin enfant? L'audition fonctionne par suggestion; on entend ce que l'on veut entendre, comme nos vieux parents. Avec humour, le théologien Karl Barth (1886-1968) écartait toute définition religieuse de la bonne musique, celle qui élèverait l'âme aussi sûrement qu'un ascenseur: "Je ne suis pas sûr que les anges, quand ils cherchent à glorifier Dieu, jouent de la musique de Bach. Je suis certain, en revanche, que lorsqu'ils sont entre eux, ils jouent du Mozart."

Existe-il une définition religieuse de la musique?

Reuters/Charles Platiau
6. Parce que Dieu me l'a dit

Ce n'est pas une raison! La raison suppose un terrain commun de discussion. Il faudrait être tombé de cheval avec saint Paul, avoir vu la Vierge avec saint Ignace. En fait, même s'ils prétendent être uniques, les récits de conversion forment de véritables traditions littéraires, comme le polar nordique. A la fin du IVe siècle, Augustin, pleurant tout son désespoir dans le jardin de sa maison à Milan, entend par-dessus le muret une ritournelle "Prends et lis". L'interprétant comme un ordre, il ouvre la Bible au hasard et se convertit au Christ.

Passons au Siècle d'or espagnol: alors qu'elle traverse une longue nuit spirituelle, Thérèse d'Avila tombe un jour sur un livre d'Augustin. Elle découvre le récit de sa conversion et, à nouveau, c'est le tsunami: les larmes coulent à flots, son coeur s'ouvre au Christ. Rattrapons enfin Paul Claudel (voir la preuve précédente) qui rentre chez lui la nuit de Noël encore tout électrisé par la récente foudre. Il ouvre la Bible au hasard et... vous devinez la suite. Etranges réminiscences à travers les siècles. C'est la loi des séries: entre 1969 et 1976, le journaliste André Frossard, le philosophe Maurice Clavel et le romancier Didier Decoin racontent leur conversion dans un livre, comme si chacun lisait par-dessus l'épaule de l'autre. "Cela s'est-il vraiment passé comme cela?" n'est pas la bonne question. Parce qu'ils sont rédigés toujours après coup, ces récits organisent les faits d'une certaine façon, à la forte portée symbolique (la chute au sol, le thème de l'enfance ou de l'enfantement). La forme racontée dramatise, contracte le temps autour de la crise, divise violemment la vie en deux. Surtout, elle s'imprègne d'une tradition pour trouver des mots qui viennent difficilement. Pour être moins seul avec ce qui s'est passé, sans doute.
7. Parce que nous pensons à lui

C'est la preuve la plus grandiose et la plus intime, celle qui traverse mille cinq cents ans d'histoire. Elle apparaît dans toute sa clarté chez Anselme de Cantorbéry (1033-1109), alors abbé du Bec, abbaye nichée dans une vallée normande verdoyante: même l'incroyant a une idée de Dieu, qui est celle d'un être "tel que rien de plus grand ne puisse être pensé". Or, une chose qui existe a plus de poids que sa seule idée - quand on se cogne la tête, on fait la différence. Donc, si Dieu n'existait pas, je pourrais penser à un autre être suprême qui aurait en plus l'existence - un être plus suprême que suprême, donc; comme la lessive qui lave plus blanc que blanc. Ce qui contredit le point de départ. La pensée de Dieu implique donc son existence.

Quelques siècles plus tard, Descartes use d'un argument similaire: quand j'examine mes pensées, je trouve en moi l'idée d'un être éternel et infini. Je ne peux en être la cause, car mon intelligence est finie et je n'ai rien en moi qui permette de construire un tel infini - je n'approche l'infini qu'en ajoutant des morceaux de fini. Conclusion: je n'aurais pas l'idée de l'infini si elle n'avait été mise en moi par un être infini. Au XVIIIe siècle, Kant réfuta la preuve d'une boutade: 100 euros rêvés ont la même valeur pécuniaire que 100 euros réels, l'existence ne change rien au concept; par contre, elle m'aide à payer mon loyer. Plus proche de nous, le grand logicien Bertrand Russell eut une position plus subtile, toute à son ironie: l'argument est peu recevable mais difficilement réfutable! Si elle semble au premier abord bien abstraite, cette preuve nous apprend que si les chevaux ailés et les fées disparaissent au réveil, demeurent dans notre esprit des idées si hautes et si incompréhensibles qu'elles ne nous laissent pas en paix.
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Par Philippe Chevallier

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