mardi 25 décembre 2012

Jürg Wegelin:parcours d’un intellectuel subversif

Etait-ce une célébration religieuse, une réunion de famille ou d’anciens combattants, restés verts et actifs? Un peu des trois, sans doute.
Tout récemment, en présence d’une cinquantaine de personnes, Jürg Wegelin, journaliste-économiste, signait sa biographie sur Jean Ziegler à la Libraire arabe de l’Olivier, à Genève[1]. Le vaillant sociologue, qui saluait ce travail sur l’aspect social de sa vie, l’accompagnait.
Avec humour, Jean Ziegler relevait qu’à maintes reprises, ces dernières années, des journalistes l’avaient approché dans la perspective de raconter sa trajectoire. «Vous avez eu une vie intéressante», répètent-ils volontiers. Avec son fort accent germanique, Jean Ziegler s’insurgeait : «Mais merde ! Je suis toujours là; le ‘‘eu’’ est de trop !»
Hanté par la culpabilité du privilégié, ce célèbre Suisse, entré dans le Petit Larousse en 2011, rendait hommage aux camarades qui avaient risqué leur peau pour améliorer le monde. Il se remémorait la générosité de Sartre à son égard, son engagement, sa disponibilité... et Simone de Beauvoir qui, sans complaisance, corrigeait ses textes, «belle, mais dure». Il rappelait aussi ce précepte de son ami Willy Brandt, chancelier fédéral allemand, de 1969 à 1974 : «Lorsque vous prenez la parole en public, il faut toujours terminer en donnant de l’espoir.»
Ce professeur, dont l’ouvrage le plus polémique fut tiré à 500.000 exemplaires, égrenait souvenirs et pertes de certitudes. La soldatesque de Mobutu s’était chargée de lui démontrer que les Blancs n’avaient pas le monopole de la cruauté. De son séjour en Afrique, il était revenu «sans instrumentalité intellectuelle.» Avec cette extraordinaire chaleur humaine qui est la quintessence même de la vie, le rebelle martelait son obsession de l’incarnation : «A quelle condition historique une idée devient-elle une force ?»
En guise de conclusion, après avoir longuement stigmatisé la violence de l’ordre du monde, Jean Ziegler prophétisa : «C’est absolument certain que l’insurrection des consciences va se produire.»
Que dit le livre de Jürg Wegelin ? Si l’on ne devait retenir que deux choses de cet ouvrage évènementiel, descriptif, ce serait l’exceptionnelle vitalité du sociologue et le fait, qu’à la longue, il a enfin recueilli une reconnaissance générale, qui aurait dû lui échoir bien plus tôt.
Jean Ziegler, ce protestant converti au catholicisme, est issu d’un milieu bourgeois. Son père était juge, haut gradé à l’armée et le blason de sa famille trône au Château de Chillon, le plus beau château médiéval de Suisse. C’est à Paris, juste après son baccalauréat, qu’a commencée à se forger sa conscience politique et que s’est consommée sa rupture avec son passé conventionnel. La fréquentation de l’Abbé Pierre, des militants du réseau Jeanson, dans lequel il occupa un rôle actif, lui permirent de déployer ses ailes, et de mettre concrètement en œuvre cette foisonnante générosité chrétienne qui le fait vibrer. Doté de la double formation de juriste et de sociologue, après avoir scruté de près les réalités du tiers-monde, il en arrive à la conclusion que, dans les pays en développement, ce n’est pas tant la norme qui compte que le contexte sociétal où elle est produite.
Ce diplomate subversif, qui répugne à se servir d’un ordinateur, mais qui a semé le trouble sur la place financière suisse en s’attaquant au secret bancaire et au blanchiment d’argent, fut l’un des premiers à pointer du doigt les effets délétères de la mondialisation. Les affirmations qui, il y a quelques décennies, apparaissaient comme des outrances iconoclastes, suscitant au mieux la condescendance, au pire des avalanches de procès ruineux, n’étaient rien moins que des prophéties...
Député parlementaire, professeur à l’Université, écrivain, rapporteur à l’ONU, Jean Ziegler a saisi toutes les tribunes à sa disposition pour plaider la cause des affamés, obsession qui le torture et le force à l’action.
Enfin, c’est par cette belle conclusion que Jürg Wegelin achève un ouvrage à la fois concis et complet: «Une démocratie vivante s’enrichit par la critique, et il faut des personnalités rebelles et obstinées, ainsi que des intellectuels comme Jean Ziegler qui osent penser au-delà de leur intérêt immédiat, même au risque de dériver parfois vers la démesure ou l’utopie.»

Y.B.

[1] Wegelin J ; Jean Ziegler. La vie d’un rebelle, Ed. Favre, Lausanne 2012, 172 p.
A lire également : Ziegler J ; Le bonheur d’être suisse, Seuil, Fayard, Paris 1993 (autobiographie).

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