samedi 7 avril 2012

De la mutation à la manipulation génétiques

De la mutation à la manipulation génétiques: La Belgique n'aura pas donné au monde seulement Tintin, les moules et les frites, mais aussi une race bovine nommée Blanc bleu belge. Cette race est atteinte d'un défaut génétique qui empêche la production de myostatine, une protéine qui joue un rôle crucial dans la croissance musculaire. Le résultat est un animal qui a des parentés certaines avec Hulk. Les muscles saillent de partout, même à des endroits où les bovins normaux ne semblent pas en avoir.

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Source: http://commons.wikimedia.org. Photo utilisée sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5.


Ce défaut génétique a cependant des avantages du point de vue des éleveurs et des gens qui adorent le steak : la viande de ces bêtes contient 3 fois moins de gras que celle des animaux normaux, elle est beaucoup plus tendre et aussi beaucoup plus abondante (d'environ 40 %). Ces animaux ne mangent pas plus que les autres, mais produisent du muscle au lieu de produire du gras! Si on ne savait pas que la race est la conséquence d'une mutation naturelle (sélectionnée par la suite par les éleveurs), on pourrait facilement croire qu'on a affaire à des monstres. Mais, mis à part leur défaut génétique qui entraîne parfois une difficulté à mettre bas (les césariennes ne sont pas rares), les animaux sont en bonne santé.

Ayant découvert quel gène, quelle protéine et quel récepteur on doit bricoler pour diminuer l'effet de la myostatine et produire plus de muscles, le Dr Terry Bradley, un chercheur en biologie marine à l'Université du Rhode Island, en a déduit qu'on pourrait sans doute obtenir le même effet sur la truite. Le résultat est une truite qui a 2 fois plus de chair que les truites habituelles. Elle est loin d'être rendue sur nos tables, mais la truite Schwarzenegger (ce n'est pas son nom officiel) existe déjà.

La vidéo suivante (en anglais) vous montre la bête et fait parler son géniteur.





Jusqu'où aller trop loin?
Jusqu'à ce point, nous restons dans le domaine de ce que les accidents de la nature peuvent créer. Mais une autre compagnie a trouvé le moyen de stimuler l'activité du gène qui entraîne la fabrication de l'hormone de croissance chez le saumon. On a simplement introduit des sections d'ADN provenant du saumon Chinook et de la loquette d'Amérique (une sorte d'anguille) dans le code génétique de saumons pour annuler la période durant laquelle un jeune saumon grandit très lentement. Résultat : le poisson atteint une taille commerciale en 18 à 24 mois plutôt qu'en 30 mois.

En allant du boeuf Blanc bleu belge, à la truite puis au saumon, nous sommes donc passés d'une mutation naturelle sélectionnée, à une mutation provoquée, puis à la fabrication d'une nouvelle mutation. Or si la race Blanc bleu belge commence à se répandre à travers le monde, le Danemark, la Suède et la Finlande ont essayé (sans succès) de l'interdire dans leurs pays en invoquant le fait que la mutation affectant la myostatine est un défaut génétique qui nuit au bien-être de l'animal.

La question qui se pose ici est la suivante : sur quels critères jugeons-nous que nous dépassons une frontière? Les Européens n'hésitent pas à manger du boeuf Blanc bleu belge, mais les Scandinaves ont une réticence morale liée au bien-être des animaux. Au-delà des considérations pragmatiques sur la santé humaine et les conséquences sur l'environnement, ressentons-nous un malaise à manipuler ainsi des êtres vivants? Ou bien devons-nous limiter notre réflexion à ces aspects pragmatiques?

Il y a plusieurs années, j'avais été impressionné par un argument philosophique qui se présentait à peu près ainsi. Vous avez besoin d'une greffe de rein et votre frère accepte de vous donner un des siens. Vous êtes très heureux de sa générosité. Malheureusement, celui-ci développe une maladie et décède peu après.

Les médecins vous proposent alors le rein d'un donneur anonyme. Vous dites encore oui. Mais le jour de la chirurgie, on se rend compte que le rein en question a été mal conservé et ne peut plus servir. Il n'y a pas de donneur disponible. Le chirurgien vous propose alors de vous greffer un rein de porc. Vous commencez à hésiter et demandez quelques jours de réflexion. Mais votre situation se détériore rapidement et on vous assure désormais que votre vie dépend du fait qu'on vous greffe non seulement les reins, mais la vessie, l'intestin et l'anus du porc. Une limite a-t-elle été franchie?

À partir de quel point décidons-nous qu'il existe une limite à ne pas franchir? Quels arguments pouvons-nous invoquer pour définir cette limite? Existe-t-elle? On peut réfléchir à la question à partir du sentiment qui nous habite lorsque nous voyons un boeuf à la musculature hypertrophiée ou une truite avec les abdominaux d'Arnold Schwarzenegger. Quel est ce sentiment? Pourquoi l'éprouvons-nous?

Grandes questions...

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