samedi 30 mars 2013

Les réfugiées syriennes vendues à de riches arabes dans tout le Moyen-Orient



Om Majed, réfugiée syrienne de 28 ans, trouve de jeunes épouses pour de riches arabes dans tout le Moyen-Orient

Nezar démontrait beaucoup d’attentes à son arrivée. Cette mère costaude de 12 enfants s’est installée sur le petit canapé dans le salon d’Om Majed tout en enlevant son voile noir et ses gants noirs pieux qui lui permettent de donner la main aux hommes qui ne font pas partie de sa famille.

Om Majed sert des petites tasses de café turc chaud pour détendre l’atmosphère. Nezar est une réfugiée syrienne à la recherche d’un mari pour sa fille. Elle énumère les qualités de sa fille : « Elle est grande et jolie, dit-elle à Om Majed. Elle a terminé sa septième année ».

«Il y a un homme disponible. Il est Saoudien », répond Om Majed.

C’est ce que Nezar veut entendre. Les Saoudiens, les poches pleines de pétrodollars, paient de bons montants. Elle nourrit de grands espoirs pour ce Saoudien. Om Majed aussi, car elle recevra 287$ si les deux parties acceptent cet arrangement.

Om Majed, 28 ans, elle-même réfugiée syrienne, était une femme au foyer à Homs. Om Majed n’est pas son vrai nom, mais un surnom signifiant «mère de Majed», son jeune fils. Elle ne veut pas que son nom complet soit publié car elle a honte de la manière dont elle gagne sa vie : procurer des épouses, dont certaines ont à peine 12 ans, à des hommes de tout le Moyen-Orient aussi vieux que 70 ans, pour de l’argent.

Nezar aussi était une femme au foyer à Homs et elle est arrivée en Jordanie l’année dernière. Son mari était chauffeur de taxi, mais il ne peut plus travailler parce qu’il souffre d’une maladie cardiaque. Son fils, combattant avec les terroristes de l’ASL, est gravement blessé.

Sa fille Aya est leur meilleur espoir. « Ma fille est prête à se sacrifier pour sa famille, dit Nezar. Si la guerre n’avait pas eu lieu, je ne marierais pas ma fille à un Saoudien. Mais les Syriens ici sont pauvres et n’ont pas d’argent. »

La fille de Nezar a 17 ans. Le Saoudien, 70 ans.

Les Syriennes et leurs enfants représentent 75 pour cent des 429.000 réfugiés en Jordanie. La grande majorité ne vit pas dans les camps établis par les autorités jordaniennes. Elles se dispersent dans des villes comme Amman, où elles vivent de la charité des Jordaniens bienveillants et des organisations humanitaires.

Beaucoup de ces femmes ne sont pas équipées pour soutenir leurs familles, elles ont été éduquées pour rester au foyer pendant que les maris et les pères pourvoient à leurs besoins. Le prix réel de cette guerre qui déchire la nation se manifeste dans les choix de vie brutaux que les femmes syriennes doivent faire pour survivre.

Des centaines de jeunes filles sont précocement vendues en mariage pour la sécurité d’un mari et d’un foyer. Il s’agit assurément de mariages forcés mais la vérité a des nuances de gris: certaines mères croient qu’elles mettent leurs filles à l’abri de nouvelles difficultés et de la violence, d’autres sont désespérées devant les factures à payer. Pourtant, leurs voix sont rarement entendues car leurs vies sont vécues derrière des portes closes, leurs tragédies privées ne sont pas partagées avec les étrangers.

«Si vous saviez comment les Syriens vivent ici, vous comprendriez pourquoi elles donnent leurs filles en mariage à qui veut les prendre, dit Om Majed. Les gens sont pauvres et feront n’importe quoi pour payer le loyer. »

Le grand nombre de réfugiées syriennes désespérées signifie que le mariage est devenu un marché d’acheteurs, des hommes offrant à peine 100 $ en argent comptant pour une mariée. L’âge légal du mariage est de 18 ans en Jordanie, mais certains religieux acceptent de marier des jeunes filles mineures pour une somme modique. Cette pratique expose les jeunes filles à un risque accru d’exploitation car certains clients d’Om Majed veulent des mariages temporaires de quelques semaines ou quelques mois, après quoi la fille est retournée chez ses parents. En d’autres termes, il s’agit de prostitution religieusement sanctionnée.

«Une de mes clientes a été mariée trois ou quatre fois, dit Om Majed. Elle a 15 ans.»

Nezar croit pourtant qu’elle sauve sa fille Aya d’une vie de misère. Quelles sont les perspectives pour sa fille en Jordanie où elle n’a pas le droit de travailler ? Il y a peu d’espoir que la guerre prenne fin et qu’elle retourne à la maison. Elle va bientôt devenir une charge pour ses parents. Non, une vie en Arabie Saoudite avec un mari qui lui donnera un foyer et des enfants, et enverra peut-être de l’argent en Jordanie, est la solution.

Elle admet que le marché du mariage est risqué. La plupart des maris potentiels offrent quelques dollars pour lorgner sa fille. «Je suis déjà en train de vendre ma fille, aussi bien la vendre à un honnête homme », dit-elle.

Nezar coupe court à la rencontre. Aya prend des cours de danse du ventre pour séduire son futur mari âgé. « Je vais lui demander 3000 dinars (4300 $), dit-elle à Om Majed. S’il était plus jeune j’accepterais 2000 dinars. »

Autrefois, une matrone du quartier agissait comme entremetteuse. Elle évaluait les jeunes filles du voisinage pour les familles des garçons. Au bain turc, la jeune fille était exhibée comme une pouliche primée: sa crinière était tirée pour vérifier qu’elle ne portait pas de perruque, une noix était cassée entre ses molaires pour s’assurer qu’elle avait de vraies dents. Dans une société où les femmes, particulièrement les filles célibataires, ne se mêlent pas aux hommes non membres de leur famille, et ne s’aventurent pas à l’extérieur de la maison sous peine d’être étiquetées comme des femmes aux mœurs légères, de nombreuses familles comptaient sur des entremetteuses pour trouver des épouses à leurs fils.

Om Majed a une expression cynique devant cet archétype innocent, en s’allumant une cigarette. Elle est devenue entremetteuse après avoir approché un organisme islamiste de bienfaisance local pour avoir de la nourriture quand le directeur lui a demandé si elle « connaissait des jolies filles ».

«J’ai 10 familles à la recherche de maris, dit-elle. Leurs filles ont entre 12 et 21 ans. Les mariés potentiels ont toujours 40, 50 ou 70 ans. Ils veulent de très belles filles, préférablement très jeunes.» Elle fait une pause et prend une bouffée de cigarette. «Les Saoudiens demandent généralement des filles de 12 ans.»

Pour elle, la vie est devenue un choix entre exploiter les autres ou se faire exploiter. «Je dois nourrir mes enfants, dit-elle. Que signifie la liberté ? Nous vivions dans la fierté et dans notre propre pays. J’ai posé cette question à mon mari. Il a répondu que ce sont des Alaouites et nous les combattons. Or les Saoudiens sont sunnites comme nous et ils harcèlent les filles syriennes. Est-ce cela la religion? Est-ce cela la liberté? »

Son mari était propriétaire d’un lave-auto à Homs. L’an dernier, il a été touché par une balle perdue et après qu’Om Majed l’eut soigné, il a joint une milice de l’Armée syrienne libre. « Aujourd’hui, je souhaite que la balle lui aurait transpercé le cœur, dit-elle amèrement. Il m’a abandonnée pour aller se battre, me laissant le fardeau de faire vivre la famille.»

Les épouses syriennes ont toujours été prisées, surtout par les arabes du Golfe. Il y a une expression qui se traduit grosso modo ainsi : «celui qui n’épouse pas une Damascène ne connaîtra jamais une nuit paisible ».

Le stéréotype des Houries, les beautés du Levant à la peau claire parlant le dialecte arabe syrien mélodieux et faisant une merveilleuse cuisine, jouit d’un grand attrait. La réputation d’une hôtesse syrienne peut reposer sur l’équilibre entre l’huile d’olive et le jus de citron dans sa salade taboulé.

Au Moyen-Orient, l’époux ou sa famille sont censés fournir le mahrer, l’équivalent de la dote. Un bon candidat approchera la famille de la jeune fille avec un appartement entièrement meublé, peut-être une voiture, et un relevé bancaire prouvant ses économies.

Zayed Hamad, directeur de Kitab al Sunna, un organisme de bienfaisance sunnite qui vient en aide aux femmes réfugiées et reçoit du financement de l’Arabie saoudite, dit qu’il reçoit chaque mois 100 appels téléphoniques, des courriels et même des messages texto d’hommes dans tout le Moyen-Orient à la recherche de femmes. Certains cherchent des rabais.

«Certains croient que c’est moins cher d’épouser une Syrienne, dit-il. Je suis approché par leurs frères, mais je leur dis que ce n’est pas mon rôle de trouver des épouses.» Il croit que c’est une bonne chose car ces jeunes filles ont un avenir plus sûr.

Eman est une beauté typique de Damas avec sa peau claire et ses yeux noisettes. A 29 ans, elle est considérée comme une épouse âgée, avec deux filles de son ex-mari dont elle a divorcé après l’avoir surpris au lit avec sa belle-sœur. Eman est fatiguée de la guerre et de ses slogans. «Je maudis les gens qui réclament la liberté, dit-elle. Mais Bachar a invité le diable en Syrie ».

Elle a fui à Amman avec ses filles à la fin de l’année dernière. Tous les réfugiés sont destinés à rester dans le camp Zaatari, un bidonville sale, parfois violent, à la frontière nord. La rue principale est surnommée les Champs Elysées et on y vend de tout, des chaussures aux shawarmas. Les femmes creusent de petits trous dans le sol près de leurs tentes pour éviter les déplacements aux toilettes publiques dans l’obscurité, parce qu’elles ont peur.

Eman refuse d’y vivre. «C’est horrible», dit-elle. Elle loue plutôt un petit appartement à Amman avec ses enfants, sa sœur et sa mère pour 150 dinars par mois. Mais la vie dans la capitale sans la protection d’un mari ou d’un père est difficile. À son arrivée en Jordanie, Eman est allée voir des organisations de bienfaisance ou des mosquées pour obtenir de la nourriture et des matelas, et son léger accent syrien a immédiatement attiré l’attention.

«Partout où je vais je reçois des propositions, dit-elle avec plus de lassitude que de fierté. Ils demandent s’ils peuvent humer mon parfum pour 20 dinars (28 $) ou lever mon voile pour 35 dinars (50 $). J’aimerais mieux mourir de faim que faire quelque chose de mal ».

Pas plus tard qu’hier elle a entendu parler d’un homme riche qui donnait de l’argent comptant à la mosquée locale, et elle y est allée pour en savoir davantage. «Il donnait 100 $ et a donné de l’argent à tous les autres et m’a dit d’attendre, dit Eman. Quand il a fini avec tout le monde, il m’a demandé de l’appeler dans la matinée à son hôtel. J’ai dit que je viendrais avec ma mère. Il m’a dit de venir seule. Il donnerait le double du montant d’argent. Je lui ai répondu qu’il était ridicule.»

Elle travaille à la maison, où elle écale des arachides pour une usine et gagne 2,5 dinars (3,50 $) pour chaque 10 kg d’arachides écalées. Eman veut se marier bientôt pour éviter de s’exposer à une attention non désirée. «Je veux un vrai mari et un vrai mariage, quelqu’un comme Muhandin», dit-elle en éclatant de rire. C’est un acteur turc dans un feuilleton populaire.

Om Majed, cependant, n’a pas de temps pour les rêves romantiques.

Un nouveau client, un Jordanien de 29 ans, veut une jeune épouse du camp Zaatari. Il donnera de faux documents à Om Majed et ils se feront passer pour des travailleurs humanitaires pour avoir accès aux familles et évaluer leurs filles.

«Certaines familles acceptent 50 dinars pour laisser les garçons regarder leurs filles », dit-elle. Elle a eu recours à cette ruse à plusieurs reprises.

Om Majed percevra une commission pour la négociation d’un arrangement. Mais elle affirme que ce sera de la nourriture, pas de l’argent comptant.Source : Syria’s refugee brides:’My daughter is willing to sacrifice herself for her family’, par Hamida Ghafour, The Star, 22 mars 2013. Traduction par Poste de veille

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