samedi 1 septembre 2012

USA: La criminalisation de la dissidence

USA: La criminalisation de la dissidence: Mardi dernier, je me trouvais au quinzième étage du Southern U.S. District Court de New York, dans la salle d’audience de la juge Katherine Forrest. Il s’agissait de la dernière audience concernant les poursuites engagées par moi-même en janvier contre le Président Barack Obama et son Secrétaire de la Défense, Leon Panetta. Ce procès, que j’ai intenté avec Me Carl J. Mayer et Me Bruce I. Afran, concerne la Section 1021 du projet de loi intitulé « National Defense Authorization Act » (NDAA). Six autres plaignants, dont Noam Chomsky et Daniel Ellsberg, nous ont rejoints par la suite.
USA: La criminalisation de la dissidence
Cette partie du NDAA, ratifiée par B. Obama le 31 décembre 2011, nous enlève certaines de nos protections constitutionnelles les plus importantes. Elle permet au pouvoir exécutif d’ordonner à l’armée l’arrestation de tout citoyen états-unien soupçonné d’activités terroristes ou d’association avec des terroristes. Les personnes placées en garde-à-vue par l’armée – désormais chargée de faire respecter la législation nationale – peuvent perdre leur droit à une procédure et à un habeas corpus réglementaires, et être maintenues en détention pour une durée indéfinie dans les bâtiments de l’armée. Cette loi permet de menacer activistes et dissidents, dont les droits étaient jusque-là protégés par le Premier Amendement, d’une incarcération à durée indéterminée dans les prisons militaires, y compris dans nos colonies pénitentiaires maritimes. L’intitulé de la loi lui-même, « the Homeland Battlefield Bill » (NdT: qu’on pourrait traduire par “Loi sur le champ de bataille du territoire national”), évoque un crédo totalitaire dans lequel les ennemis, qu’ils se trouvent au sein de la patrie ou à l’étranger, doivent être combattus sans relâche.





Selon une déclaration faite au tribunal par Mayer, « L’objectif principal du NDAA est de créer un système judiciaire violant la séparation des pouvoirs. » « [L’administration Obama a] retiré la détention de la branche judiciaire pour la placer sous la responsabilité de la branche exécutive. »





En mai, la juge Forrest a pris la courageuse décision de faire une ordonnance annulant temporairement la Section 1021, en raison de sa violation des Premier et Cinquième Amendements de la constitution. La juge décidera dans les prochaines semaines si elle souhaite lever l’ordonnance ou la rendre permanente.





Pendant les comptes rendus de la semaine passée, la juge, dont les questions acerbes vis-à-vis des avocats de la défense semblaient indiquer une inclination à annuler la section en cause, cita l’internement forcé de Japonais-Américains pendant la Seconde Guerre mondiale comme un exemple qu’elle ne voulait pas suivre. Mme Forrest lut à l’audience la contestation que fit Robert Jackson, juge à la Cour suprême des États-Unis, dans l’affaire Korematsu v. United States–un procès dont le verdict autorisa la détention, pendant la guerre, de quelque 110 000 Japonais-Américains dans les « camps de relocation » du gouvernement.





« Même si ces procédures étaient acceptables du point de vue militaire, je refuse d’admettre que cela les rende automatiquement constitutionnelles », écrivit Jackson dans sa contestation de 1944. « Si, au contraire et comme la Cour le soutient, c’est le cas, alors nous pouvons tout aussi bien décider que n’importe quel ordre militaire est constitutionnel, et la discussion sera close. »





L’administration Obama a fait appel contre l’ordonnance de Mme Forrest et en fera probablement de même si cette dernière la rend permanente. Il s’agit là d’un étonnant aveu de la part de ce président, à savoir qu’il ne fera rien pour protéger nos droits constitutionnels. L’échec supplémentaire de l’administration à restaurer le habeas corpus, son utilisation de l’EspionageAct à six reprises pour faire taire les lanceurs d’alarme du gouvernement, son soutien au FISA Amendment Act « qui permet de mettre sur écoute téléphonique, de surveiller et d’écouter les conversations privées des citoyens états-uniens sans aucune justification », ainsi que son ordre d’assassiner des concitoyens en vertu de l’Authorization to Use Military Force (AUMF) de 2001, montrent que malgré toute sa rhétorique, B. Obama, à l’instar de ses adversaires républicains, est déterminé à supprimer tout obstacle se dressant devant le pouvoir illimité de l’état sécuritaire et de surveillance. Les six autres plaignants (qui sont notamment des reporters, des professeurs et des activistes) et moi devrons probablement porter cette bataille en cour d’appel et peut-être même à la Cour suprême.





Le projet de loi est rédigé de manière extrêmement vague. Il définit la « personne concernée, sujette à détention » comme « toute personne ayant fait partie de ou ayant soutenu de manière significative al-Qaeda, les Talibans, ou n’importe quelle autre force associée engagée dans des hostilités à l’égard des États-Unis ou de ses alliés, en ce compris toute personne ayant commis un acte de belligérance ou ayant soutenu de manière directe les dites hostilités en faveur de telles forces ennemies. » Cependant, le projet de loi ne donne pas la définition des termes « ayant soutenu de manière significative », « ayant soutenu de manière directe » ou « n’importe quelle autre force associée ». Au mépris de plus de deux cent lois établies concernant le maintien de l’ordre interne, cette loi affirme que n’importe quel membre d’un groupe soupçonné par le gouvernement d’être une organisation terroriste – qu’il s’agisse d’œuvre de charité palestinienne ou d’un groupe anarchiste du Black Bloc- peut être saisi et détenu par l’armée. Mayer mit l’accent sur ce point au tribunal mercredi quand il rappela les condamnations pour sédition des activistes pacifistes durant la Première Guerre mondiale qui distribuaient des tracts encourageant à arrêter la guerre en refusant de fabriquer des munitions. Mayer cita le juge Oliver Wendel Holmes qui, dans sa contestation de 1919, écrivait que nous devions rester « sans cesse aux aguets quant aux tentatives de contrôler les opinions avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord ».





La définition que donnait le Département de la Justice d’un terroriste potentiel dans le PatriotAct était déjà extrêmement large. Elle incluait tout individu ayant des doigts manquants, possédant des munitions et des armes à feu imperméables ou ayant accumulé de quoi se nourrir pendant plus d’une semaine. Voilà qui ferait d’excellents suspects terroristes de certains de mes parents qui vivent dans la campagne du Maine ainsi que de leurs amis, si le gouvernement le décidait.





Selon Benjamin Torrance, avocat de la défense, le gouvernement avait déjà le pouvoir de dépouiller les citoyens de leurs droits constitutionnels auparavant. Il donna comme exemple l’exécution d’un saboteur nazi nommé Richard Quirin, pendant la Seconde Guerre mondiale, en disant que l’affaire était « tout à fait conforme à la Constitution ». Il fit ensuite le lien entre cette affaire et la loi AUMF, qui selon la Maison blanche autorise le gouvernement à maintenir en détention et à assassiner des citoyens états-uniens qu’il juge terroristes. Torrance déclara au tribunal que l’interprétation judiciaire de ladite loi AUMF le rendait identique au projet de loi NDAA, ce qui poussa la juge à lui demander pourquoi, si tel était le cas, le gouvernement ressentait le besoin de défendre le NDAA. B. Torrance ajouta alors, après avoir eu de la peine à trouver quoi répondre, que les États-Unis ne distinguent pas quelles lois permettent à leur armée de garder des détenus. Mme Forrest, incrédule, a alors dit que si c’était vraiment le cas, le gouvernement pourrait être accusé de désobéir aux ordres du tribunal stipulant qu’il est interdit de détenir quiconque par évocation du NDAA.





K. Forrest a également cité à la Cour Alexandre Hamilton, selon qui les juges avaient pour devoir de donner au « pouvoir du peuple » la prévalence sur la volonté du pouvoir législatif.





« Cette conclusion ne signifie pas non plus, ni par aucun moyen, la supériorité du pouvoir judiciaire sur son homologue législatif », écrit Hamilton, sous le pseudonyme Publius, dans le Federalist n°78. « Elle implique simplement que le pouvoir du peuple est supérieur aux deux, et que, là où la volonté législative, déclarée dans ses statuts, se place en opposition à celle du peuple, déclaré par la Constitution, les juges devraient être guidés plutôt par la dernière que par la première. Ils devraient moduler leurs décisions en fonction des lois qui sont fondamentales, plutôt que par celles qui ne le sont pas. »





Il n’y a qu’à comparer ce débat crucial d’un tribunal fédéral avec le bourdonnement vide qui sature les ondes. Le jargon de notre théâtre politique, l’obsession ridicule de savoir qui sera choisi comme vice-président ou les potins de stars qui dominent l’industrie médiatique constituent une manière efficace de masquer notre progression vers un totalitarisme corporatiste. L’état-corporation a persuadé les foules, en gros, d’applaudir leur propre servitude. En réalité, il n’y a pas l’ombre d’une différence entre Mitt Romney et Barack Obama quand il s’agit du fonctionnement interne de l’état-corporation. Ils sont tous les deux d’accord avec cette section du NDAA et avec l’extinction massive des libertés civiques. Ils continueront tous les deux à gaspiller des milliards de dollars dans le financement d’entreprises liées à la défense, de services de renseignements et de l’armée. Ils ont tous les deux l’intention de laisser Wall Street piller les États-Unis impunément. Aucun des deux ne lèvera le petit doigt pour aider les chômeurs à long terme ou les gens sous-employés, ni ceux qui perdent leur maison pour cause de saisie immobilière ou de re-possession, ni ceux qui font banqueroute à cause de leurs frais médicaux, ni même les étudiants écrasés sous le poids de dettes impayables. À écouter les cris angoissés des adversaires des deux partis, on croirait qu’il s’agit d’une bataille entre les forces de la lumière et les forces de la nuit. On croirait qu’aller voter dans ce théâtre politique figé de l’état-corporation fait la moindre différence. La fumisterie de la politique de pacotille est là non pas pour proposer un choix, mais pour distraire les foules pendant que nos maîtres corporatistes s’activent inéluctablement, sans en être empêché par aucun parti, à transformer toute divergence d’opinion en crime.





Chris Hedges a été correspondant à l’étranger pendant presque vingt ans en Amérique centrale, dans le Moyen-Orient, en Afrique et dans les Balkans. Il a fait des reportages dans plus de 50 pays et a travaillé pour The Christian Science Monitor, National Public Radio, The Dallas Morning News and The New York Times, en tant que correspondant à l’étranger pendant 15 ans.





url de l’article original:





http://truth-out.org/opinion/item/10861-criminalizing-dissent





~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~


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