mercredi 8 août 2012

Quand les évêques parlent d’argent…



La Conférence des évêques suisses a eu la bonne idée de publier, à l’occasion du 1er Août, un bref message (deux pages) consacré au rapport de l’homme à l’argent. Le thème est en fait un prétexte pour proposer une mise en perspective de la crise dont le cinquième anniversaire sera célébré, certainement sans faste, ce jeudi 9 août. Le message est bâti sur un triple constat. D’une part, les évêques reconnaissent d’emblée que «l’argent remplit une fonction essentielle» dans nos sociétés et dans le monde. D’autre part, ils s’inquiètent du déclin de la confiance dans l’armature institutionnelle de nos sociétés. «La confiance dans la politique, les banques et les institutions financières est en train de décliner.» Cette érosion est aujourd’hui très visible dans certains pays de l’Union européenne. Mais, selon les évêques, la vague serait en train de toucher aussi la Suisse. Finalement, le message voit dans l’exubérance qu’a connue la finance durant les dernières décennies l’explication–et la cause–de sa perte du sens des réalités et, par conséquent, de la méfiance montante au niveau macropolitique. Sans être alarmiste, le message laisse transparaître une certaine inquiétude et urgence à agir. L’attentisme ne nous tirera pas d’affaire, les corrections doivent intervenir en profondeur, car «il serait irresponsable de tout laisser comme cela se passe aujourd’hui». Il y a bien longtemps que l’Eglise a cessé de proposer des solutions techniques aux crises de ce monde, elle se limite à les identifier et à les éclairer à la lumière des principes de sa doctrine sociale tels que le bien commun et l’option préférentielle pour les pauvres. Le message estival des évêques suisses s’inscrit dans cette tradition: il en appelle aux responsables politiques et financiers pour qu’ils déterminent ce qui doit être fait pour que le monde de l’après-crise soit plus juste et pour qu’ils le fassent avec discernement et conviction.
Cela étant, les évêques adressent leur message non pas à des institutions, mais à des personnes, à ceux qui jour après jour prennent des microdécisions, des décisions qui pourraient sembler sans importance, mais qui en s’additionnant les unes aux autres finissent par changer le monde. L’accent est ainsi mis sur la responsabilité de chacun, à la place qui est la sienne dans la société. C’est cela qui différencie ce message des évêques catholiques – à vocation pastorale – de l’étude – à vocation plus analytique – publiée par la Fédération des Eglises protestantes de Suisse à la fin 2010 sous le titre «Des règles honnêtes pour une économie équitable – Un point de vue protestant sur les récentes crises financières et économiques».
C’est ainsi que le message du 1er Août met en garde contre la prise de risque inconsidérée, contre les dangers de la vie à crédit. Il rappelle la responsabilité qui incombe à celui qui place ou investit son argent, comme à celui qui choisit ses partenaires économiques. Le cœur du message est l’appel à dépasser le superflu: «Se contenter de ce qui est nécessaire est un art que nous devons apprendre à exercer à nouveau… Celui qui possède cet art découvrira d’autres richesses.» L’Eglise serait-elle ainsi – en prônant la frugalité – en train de faire imploser notre système qui, selon certains politiques, ne peut être sauvé que par la croissance? La réponse doit être mesurée: aussi longtemps que la croissance sert à ce que des exclus accèdent au nécessaire, elle est désirable. Mais, passé ce cap, selon les évêques, la quête des «autres richesses» devrait prendre le relais. A chacun de faire la part des choses et d’agir en conséquence. I
*directeur de l’Observatoire de la finance et professeur à l’Université de Fribourg
PAUL DEMBINSKI

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