Un complot dangereux ?
Da Vinci Code, Anges et démons : même combat ?
Jusqu’où mène le délire du soupçon et la théorie du complot ?
antisémitisme, anticatholicisme, franc-maçonnerie : même combat ?
en quoi l’idée d’un grand secret est-elle paranoïaque ?
Nous reprenons ici l’excellent article de Jean-Emmanuel Ducoin Complot(s), paru dans L’Humanité du 20 mai 2006, étayé par l’article de Bernard-Henri Lévy, paru dans Le Point du 25 mai 2206 pour lancer le débat.
antisémitisme, anticatholicisme, franc-maçonnerie : même combat ?
en quoi l’idée d’un grand secret est-elle paranoïaque ?
Nous reprenons ici l’excellent article de Jean-Emmanuel Ducoin Complot(s), paru dans L’Humanité du 20 mai 2006, étayé par l’article de Bernard-Henri Lévy, paru dans Le Point du 25 mai 2206 pour lancer le débat.
Vinci.
"Annoncée avec gourmandise depuis vingt ans, la « chute » des idéologies n’est pas totalement étrangère au phénomène Dan Brown. L’homme, en effet, est parvenu à une conclusion stupéfiante en apparence.
Résumons : si nous vivons la fin des espérances révolutionnaires (à voir) ou religieuses (idem), les individus ont quand même le besoin de « croire » en quelque chose d’universel. Or, pour expliquer notre époque mondialisée et stigmatiser les peurs qu’elle suscite, notamment en Occident, quoi de mieux que la résurgence de quelques bons vieux complots pour réenchanter les foules ? En somme, les philosophes de la complexité sont morts, vive le retour des magiciens !
On connaît par coeur les principes de la victimisation : « Vous ne savez pas ce qui se passe dans votre dos, mais, nous, on vous le dit : vous êtes une victime passive de vérités cachées... »
Lorsqu’un auteur dit que son écriture est fictionnelle, alors que tout porte à croire le contraire, le mensonge est-il seulement romanesque ? Et qui fomente le complot ? Dans le Da Vinci Code, par exemple, dès les premières lignes de l’introductionintitulée « Les faits », Dan Brown affirme que le prieuré de Sion a été fondé au temps des croisades et comptait parmi ses grands maîtres Léonard de Vinci, Isaac Newton, Victor Hugo et Jean Cocteau. Ce n’est pas qu’une erreur mais bien une mystification qui, hélas, a du sens : c’est un certain Pierre Plantard, fondateur de groupuscules pétainistes sous Vichy et occultiste d’extrême droite, qui a créé cette association en... 1956.
Alors, où doit se situer notre trouble ?
Le poids de l’histoire
Code.
On comprend mieux à la lecture d’Anges et Démons.
Il écrit dans la préface : « La confrérie des Illuminati a existé. » Tout un programme. Dans la bouche d’un de ses personnages, on apprend que les Illuminati, dont le chef fut Galilée en personne, « ont utilisé le réseau planétaire des maçons pour étendre leur influence ». Et encore : « Ils ont trouvé peu à peu les soutiens qui devaient leur permettre de financer leur grand dessein. La fondation d’un État mondial unifié, une sorte de Nouvel Ordre mondial séculier fondé sur la raison scientifique [...] et appelé doctrine luciférienne ». Car « en latin, Lucifer signifie le porteur de lumière, l’illuminateur ». Cela ne vous rappelle rien ? Au détour d’une phrase, Brown fait explicitement allusion aux « rumeurs sur l’ancienne richesse de la franc-maçonnerie bavaroise, les Rothschild, les Bilderberger, le légendaire diamant des Illuminati ». On sait comment le thème de la maçonnerie « antinationale », puis de la « judéo-maçonnerie » a nourri et nourrit encore les obsessions de l’extrême droite, des ligues fascistes, des nazis... (...)
C’est un film qui, parce qu’il joue sans le dire sur quelques-uns des thèmes les plus douteux de l’imaginaire politique contemporain, flirte aussi avec le pire. (...)
Ce que l’on sait moins, c’est comment le patronyme de tel personnage de Dan Brown - le Radcliffe d’« Anges et démons » - démarque celui de John Readcliff, auteur présumé d’un « Discours du rabbin » datant des années 1860 et considéré comme l’un des textes précurseurs des « Protocoles des Sages de Sion ».
Ce que l’on sait un peu mieux, mais à peine, c’est que cette thématique du grand secret, cette idée paranoïaque d’une vérité cachée depuis la nuit des temps par de puissantes lignées de conjurés, cette croyance alterscientifique en un gouvernement mondial dont il reviendrait à des initiés de déchiffrer les codes, fut au coeur des élucubrations des émules français du IIIe Reich : la lutte, non des classes, mais des sociétés secrètes, véritable moteur de l’Histoire ? mais oui ! c’était la conviction, avant Dan Brown, de l’essayiste Henry Coston qui, parti, dans les années 30, d’une dénonciation du « péril juif », termina sa vie, soixante ans plus tard, dans l’obsession des synarchies, trilatérales et autres internationales maçonniques et néo-maçonniques.
Et ce que l’on ne veut, pour le coup, pas savoir c’est qu’il suffirait souvent de remplacer, dans la prose et les images de Brown, Opus Dei par Compagnie de Jésus, le personnage de Silas par celui de Loyola, ou « garde blanche » du pape par « hommes en noir » de la Compagnie, pourretrouver le ton des diatribes antijésuites qui enflammèrent le XIXe puis le XXe siècle et culminèrent avec l’envoi, sur le front de l’Est ou à Dachau, de ces déportés marqués « nzv », littéralement « non fiables comme les juifs », dont le crime était de s’être montrés, au fil des âges, successivement complices du jacobinisme, du bolchevisme, de l’internationale juive et enfin - mais là, c’était vrai - d’une résistance allemande antinazie à laquelle, à Kreisau par exemple, ils donnèrent quelques-uns de ses héros. (...)
Mais je rappelle que les mots ont une histoire et qu’il y a, derrière ces mots-là, c’est-à-dire derrière le fantasme d’une confrérie de moines mafieux et assassins n’ayant d’autre objectif que de mettre l’univers en coupe réglée,un poids de délire et de crime qui évoque de redoutables souvenirs et contre lequel il n’est pas inutile de mettre le public en garde.Bernard-Henri Lévy, Le Point du 25 mai 2206
Cracher le poison
Da.
En cette époque où l’imaginaire est dévoré par l’image, il est erreur tragique de confondre le délire du soupçon avec le triomphe du doute. Derrière son air policé de bon prof universitaire américain auquel on livrerait des bondieuseries sans confession, à quoi joue Dan Brown ? À un jeu efficace mais dangereux : transformer un cursus idéologique pour le moins glauque en polars historico-romancés à usage multimédiasphérique. Son Da Vinci Code est devenu une bible. (...)
Habile dans le maniement du « présumé vrai », le romancier a compris comment profiter de la veine pseudo-ésotérique qui, après avoir envahi les États-Unis, se répand désormais sur tous les continents. Ne nous y trompons pas, l’avènement de Dan Brown restera pour les sociologues des siècles à venir comme une trace datée dans l’histoire de nos sociétés éco-technologisées : la naissance d’un capitalisme littéraire. (...)
Publicité qui a été retirée sur une église en travaux de Rome
Vitriol.
On le sait, toutes ces théories de la complomania continuent de courir dans des publications plus ou moins confidentielles, notamment sur la toile. À l’évidence, comme beaucoup d’Américains, Dan Brown s’est pieusement inspiré du tristement célèbre Livre jaune, également intitulé les Sociétés secrètes et leur pouvoir au XXe siècle, qui date des années 1990. Écrit par le néo-nazi allemand amateur d’ésotérisme Jan Udo Holey, il recense tout ce qu’on peut imaginer comme immondices xénophobes et para-nationalistes. Brown ne « joue » donc pas avec n’importe quel matériau. Non sans hardiesse.
D’un côté il stigmatise quelques intégristes catholiques et embarrasse le Vatican.
D’un autre côté, il ingurgite et recrache les pires poisons présupposés d’une extrême droite jamais avare de références dégueulasses.
D’un côté il stigmatise quelques intégristes catholiques et embarrasse le Vatican.
D’un autre côté, il ingurgite et recrache les pires poisons présupposés d’une extrême droite jamais avare de références dégueulasses.
Ainsi, ses attaques contre l’Église ou l’Opus Dei, comme ses envolées lyriques sur la liberté ou l’exaltation d’une certaine Amérique, brouillent les pistes. Dans cet océan d’inculture, on lui a, hélas, déroulé le tapis rouge... comme à Cannes."
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La rédaction