jeudi 17 janvier 2013

Honni soit qui Mali y pense Opération « Serval »

Honni soit qui Mali y pense  Opération « Serval »


Vendredi 11 janvier la Présidence de la République, sans en avoir informé préalablement le Parlement, prenait la responsabilité d’engager la France - seule - dans une intervention militaire au Mali. Opération aussitôt qualifiée de « guerre contre le terrorisme » par les caisses de résonance médiatiques. Dès les premières heures les bombardements aériens et les combats terrestres autour de l’agglomération de Konna dans le centre du pays faisaient quelque 148 morts chez les rebelles et parmi les forces gouvernementales maliennes. Du côté des Français, un pilote d’hélicoptère de combat Gazelle, le lieutenant Damien Boiteux du 4e régiment d’hélicoptères de combat de Pau, était mortellement atteint « par un tir d’arme légère », dixit le commandement, lors d’un raid aéroporté contre une colonne de véhicules 4x4… Simultanément dans la nuit du vendredi au samedi, en Somalie cette fois, une unité du service Action de la Direction générale de la sécurité extérieure tentait de délivrer l’agent français Denis Allex, otage depuis cinq années après sa capture à Mogadiscio en juillet 2009. Opération désastreuse qui se soldera par la perte de deux hommes dont les corps seront abandonnés sur le terrain aux mains des miliciens d’Al-Shabaad. Cinq jours plus tard, alors que le Premier ministre va enfin consentir à se présenter devant l’Assemblée nationale, les islamistes ont déjà repris l’initiative et lancé une contre-offensive sur la localité de Djabli à 400 km au nord ouest de Bamako. Pendant ce temps, le président Hollande ayant pris brutalement conscience de l’isolement militaire et matériel de la France, se rendait le 15 janvier à Abou Dhabi pour y solliciter des aides et des fonds de la part des Émirats arabes unis, cela tandis que le quotidien 20 Minutes s’interrogeait - déjà - le matin suivant, sur la « stratégie que la France devrait adopter pour éviter le bourbier ». 

Une guerre low cost à la hauteur des gloires présidentielles 

Certes le Commandement des Opérations Spéciales basé à Ouagadougou, au Burkina Faso, avait anticipé cette nouvelle « guerre asymétrique » en prépositionnant des forces spéciales au Mali ? Combien au départ ? 200 ou 300 biffins du 1er Régiment parachutiste d’infanterie de marine et 13e Régiment de dragons parachutistes ? Avec pour logistique aérienne les hélicoptères du COS (Gazelle, Cougar, Puma, Tigre), trois Mirage 2000D sur les six du dispositif Épervier basé à N’Djamena et en sus, deux Mirage F-1, trois C135, un C130 Hercule et un C160 Transall !? Outre le recours à un drone Harfang stationné au Niger à Niamey, des missions sont aussi apparemment effectuées à partir de la France par des Rafale ! [meretmarine.com]. En réserve le 2e Régiment étranger parachutistes -1200 hommes - basé à Calvi, mais que l’on annonce devoir sauter de façon imminente sur Tombouctou ! De maigres forces qui donnent la dimension d’une opération fabriquée à la petite semaine, et à la mesure d’une France en pleine déconfiture morale, financière et politique… Utile au demeurant à la cuisine sondagière d’une présidence en mal de notoriété : un sondage Harris Interactive ne vient-il pas d’établir qu’une majorité de Français - 63% - seraient favorables à l’intervention de l’armée au nord du Mali. Des hexagonaux à la vue courte, ou magistralement désinformés… Les deux mon capitaine ! 

À titre de comparaison, M. Sarkozy qui n’avait pas atteint aussi rapidement l’enfer du désaveu collectif que M. Hollande - c’est-à-dire en six mois - n’est cependant jamais parvenu à redresser la barre des sondages en revêtant les habits de chef de guerre, encore moins à remonter dans l’estime de ses concitoyens en dépit d’une naissance particulièrement opportune et de sa « sale guerre » libyenne… laquelle il est vrai, aura été en effet assez sordide notamment pour avoir péniblement traîné en longueur. 

Au demeurant l’opération malienne, mal conçue, mal calculée devait en principe et au départ relever de la « guerre éclair ». Or il est maintenant évident, en dépit des communiqués triomphalistes du ministère de la Défense, qu’un vent de panique commence à se propager dans les états majors politiques – notons l’unanimité de la classe politique pour emboîter le pas à la présidence sur des chemins aussi tortueux qu’hasardeux - lesquels se préparent psychologiquement à une engagement de longue durée. 

À ce titre, les effectifs français viennent d’être portés à 800 hommes et Paris bat vainement le rappel de ses alliés européens, ceux-ci ne se bousculant pas pour apporter leur contribution à l’aventure. En fait ce sont maintenant environ 1700 personnels qui participent à l’opération , étiage qui devrait atteindre rapidement le chiffre de 2500… comme vient de l’annoncer sans ambages M. Hollande ce mardi 15. Des blindés d’ailleurs sont d’ailleurs arrivés en renfort de Côte d’Ivoire dans la nuit de lundi à mardi. Une situation par conséquent très loin d’être aussi limpide - et le chemin aussi dégagé - qu’il ne semblait de prime abord. Parce que la contre-offensive islamiste sur Djabali montre que, faute d’avoir subi des pertes sévères, les ennemis désignés de l’État français se sont simplement dispersés. De mauvaises langues vont jusqu’à dire que les pertes hexagonales seraient en fait largement minorées et que ce ne serait pas un hélicoptère mais deux qui auraient été abattus dès le premier jour, non par des armes légères, mais grâce à des missiles portables provenant des arsenaux de feu Kadhafi. Ce qui change la donne et n’avait apparemment pas du tout été prévu. 

Libye/Mali, le retour de bâton 

Parce qu’enfin quelle chanson nous chante-t-on ? Les armes aux mains des islamistes maliens ne sont pas tombées du ciel : si Paris n’avait pas, à l’instigation pressante de l’agitateur BH Lévy, livrée contre la Jamahiriya libyenne une guerre du fort au faible en compagnie de ses acolytes euratlantistes, les armes aujourd’hui utilisées contre nos troupes seraient sagement restées enfermées dans leurs bunkers. 

Sans doute ne faudrait-il pas oublier non plus « que le mouvement séparatiste malien appelé MNLA a été créé dans la précipitation par Mohamed Ag Najem lequel commandait un millier de mercenaires touareg au service du régime de Kadhafi et qu’il a été retourné par les services français quelques semaines avant la chute de Tripoli. Ag Najem aurait-il accepté de trahir Kadhafi et de retourner au Mali s’il n’avait pas eu les assurances de Paris pour pouvoir rentrer chez lui avec armes et bagages remplis d’or et de dollars afin d’y jouer le nouveau rôle qui lui a été dévolu ? » [Oumma.com14janv]. 

Il importe à ce titre de bien comprendre que toutes les guerres occidentalistes d’Orient ces vingt-trois dernières années forment un tout, une sorte « d’engrenage » dont il conviendrait d’arrêter la sinistre mécanique. Chacune engendre et prépare les suivantes. La naissance d’Al-Qaïda, et partant des guerres qui suivront en Afghanistan et en Irak, est le produit direct de là première guerre du Golfe, laquelle se met en place à partir d’août 1990 avec les concentrations de forces américaines en Arabie saoudite sur la « terre sacrée de l’Islam » ! Le Mali, la Syrie, hier la Libye ne sont ainsi que les diverses batailles d’une seule et même guerre qui s’étend de l’Atlantique à l’Indus, du Mali au Waziristân – les zones tribales du Pakistan – via le Darfour et la Somalie… 

Écoutons la mise en garde de l’ancien Premier ministre Villepin, l’homme qui a eu le front de s’opposer, au Conseil de Sécurité, à la guerre du printemps 2003, à l’occasion d’une tribune publiée dans le Journal du Dimanche : « Ne cédons pas au réflexe de la guerre pour la guerre. L’unanimisme des va-t-en-guerre, la précipitation apparente, le déjà-vu des arguments de la “guerre contre le terrorisme“ m’inquiètent. Ce n’est pas la France. Tirons les leçons de la décennie des guerres perdues, en Afghanistan, en Irak, en Libye… Jamais ces guerres n’ont bâti un État solide et démocratique. Au contraire, elles favorisent les séparatismes, les États faillis, la loi d’airain des milices armées. Jamais ces guerres n’ont permis de venir à bout de terrorismes… Il faut en finir. » [JDD13janv]. 

Incohérence, contradiction, arrogance 

Pour l’heure, « le gouvernement français prétend qu’il mène cette guerre contre des djihadistes contrôlant le nord du Mali, ceux-ci menaçant le territoire national et de l’Europe… En réalité le mouvement Ansar Dine – à ne confondre avec le djihadisme effectivement terroriste des groupes Aqmi et Mujao - visé par l’intervention est avant tout un mouvement de libération targui. Ses membres fondateurs et ses cadres, à commencer par leur leader Iyad Agh Ghali, proviennent tous du mouvement de libération touareg qui a lutté les armes à la main durant les années 80 contre le gouvernement central de Bamako. Mouvement qui avait déposé les armes dans le cadre des Accords d’Alger en 1991 ». [Oumma.com14janv]. 

En répercutant cette rhétorique de la « guerre au terrorisme », les médias hexagonaux font preuve de peu de discernement et même d’une cécité de termite : n’est-ce pas la France qui a armé, entraîné et encadré les salafistes libyens ? Qui, aujourd’hui, finance, forme, conseille les fondamentalistes qui combattent pour la « démocratie » en Syrie ? De qui se moquent donc ce gouvernement et ces gens de presse en prétendant combattre ici, au Mali, un fanatisme religieux qu’ils soutiennent et encouragent par ailleurs ? Il est cependant vrai qu’à présent, après le déclenchement de l’offensive française, les brigands islamistes menacent ouvertement de frapper la France. Mais le peuvent-ils seulement ? La DCRI est sur les dents et doit procéder à des coups de filets préventifs dans les milieux musulmans radicaux : pas de réseau de soutien, pas d’attentat. On aura compris que les buts de guerre de l’Élysée sont tout autres. Qu’ils visent la protection des intérêts stratégiques de la France - et pourquoi pas ? - les gisements d’uranium du Niger par exemple… ou, d’un point de vue plus géopolitique, n’est-ce pas l’Algérie qui se trouve, à travers le conflit malien, en ligne de mire ? La protection des six mille « ressortissants » français du Mali ne constituant au mieux qu’un objectif à la marge et au pire un prétexte commode, et ne parlons pas de nos malheureux sept otages, passés d’ores et déjà par pertes et profits ! 

In fine, « les services français n’entretiennent-ils des contacts suivis avec les groupes terroristes salafistes, comme vient de le révéler l’un des chefs d’Aqmi au Mali, Abdelhamid Abou Zeid, certes dans le but de parvenir à la libération de leurs otages français… en contrepartie de substantielles rançons qui servent à financer ces groupes terroristes dans leurs actions contre l’adversaire inavoué de la France dans la région : l’Algérie. Rien n’interdit à ce stade de penser que les Services français ne regardent pas avec une certaine complaisance le jeu que certains protagonistes régionaux ou autres joueraient par le truchement des narcoterroristes du Mujao en vue affaiblir l’encombrant voisin algérien » ! [Oumma.com14janv]. Questions évidemment dérangeantes. Mais dans le labyrinthe déconcertant des coups tordus et des stratégies indirectes, tout comme dans une conjoncture de guerre générale couvrant l’aire islamique « occidentale », tout devient envisageable qui explique des faits autrement incompréhensibles : même le « financement » au Mali de gens que nos troupes sont censées combattre. 

Le navrant isolement de la France 

Washington, Londres et Berlin approuvent comme il se doit l’intervention française mais en réalité personne ne se mouille. Ainsi Londres « soutient la décision française d’apporter une assistance au gouvernement malien face aux rebelles » annonçait William Hague, ministre des Affaires étrangères de sa disgracieuse Majesté sur son compte Twitter ! Au demeurant « un soutien purement politique » indépendamment des avions cargos prêtés pour la forme. 

Quant à « l’Allemagne, une semaine avant les célébrations à Berlin des cinquante ans du Traité de l’Élysée, elle ne peut plus intervenir où que ce soit parce que l’armée allemande est sous-financée et à bout de souffle »… épuisée qu’elle est par « l’opération d’Afghanistan qui n’est pourtant pas une guerre à proprement dit. Les seuls pays européens qui ont encore la capacité de faire ce type d’interventions, c’est la Grande Bretagne et la France… Berlin ayant fait grosso modo le maximum de ce qu’il était possible de faire en apportant à Paris un très large soutien politique » 1 [AFP15janv2013]. La chancelière Merkel, « souvent présentée comme la Reine de l’Europe », s’est à ce propos murée dans un remarquable mutisme depuis le début des opérations. À croire que les questions de « sécurité européenne » – puisque c’est de cela dont il est paraît-il question : contrer une « menace terroriste » ? - ne la concerne sans doute pas. 

De leur côté les États-Unis envisagent de fournir un appui logistique… Effectivement les drones de l’AFRICOM - United States Africa Command basé à Stuttgart – survolent les sables au sud du Sahara. Il n’empêche, malgré l’arrivée annoncée des premiers soldats nigérians – sur les 900 prévus - les forces de la CEDEAO 2 ne devraient pas être opérationnelles avant septembre ! Au total 3000 soldats devant venir du Nigéria, du Niger, du Burkina-Faso, du Togo, du Sénégal, du Ghana, de la Guinée et du Bénin et, peut-être, du Tchad et de Mauritanie… oui mais quand ? D’ici là la France est condamnée à rester seule et à faire les frais d’un conflit dont elle n’a visiblement pas bien pris la dimension réelle, et qu’elle n’est évidemment pas en position de financer seule… sauf à surcharger un peu plus la barque des impôts et des impôts sur l’impôt si bellement illustré par « le prix du carburant à la pompe » ! 

Un contexte d’intervention passablement vaseux, frisant l’illégalité internationale 

« Le président Hollande a justifié sa décision d’intervenir au Mali en prétextant l’appel à l’aide du gouvernement malien. Et en effet, le président intérimaire malien, Dioncounda Traoré, a demandé à la France d’arrêter l’avancée des rebelles d’Ansar Dine qui occupaient Konna. Ce que le gouvernement et les médias français ont oublié de mentionner c’est que ce président malien ne dispose d’aucune légitimité pour appeler à une quelconque intervention militaire d’une puissance étrangère sur le sol malien. Car il ne s’agit que d’un président intérimaire désigné en concertation avec l’Union africaine et les États de l’Afrique de l’ouest uniquement afin de revenir au plus vite à l’ordre constitutionnel après le coup d’État du capitaine Amadou Sanogo » [Oumma.com14janv]. 

Dans la vieille Afrique, l’histoire ne bégaie plus, elle radote… Au Mali les dirigeants élus (seuls les gens de presse et le Quai d’Orsay parlent encore de « gouvernement légitime ») a été renversé par un coup d’État militaire. Le président par intérim, Dioncounda Traoré, qui a appelé à la rescousse les forces françaises ne détient par conséquent et a priori qu’un faux-semblant de légitimité… suffisante cependant pour que Paris se soit embarquée dans cette nouvelle galère. Un (président) intérimaire hissé en effet à ce poste uniquement en raison de l’incapacité des militaires putschistes à bloquer la décomposition du pays : « un accord signé par le chef de la junte, le capitaine Amadou Sanogo et le ministre burkinabè des Affaires étrangères Djibrill Bassolé, représentant de la CEDEAO, prévoit que la cour Constitutionnelle constate la vacance de la présidence et investisse pour l’intérim du pouvoir le président de l’Assemblée nationale ». Disposition assortie de « mesures législatives d’accompagnement de la transition, incluant une loi d’amnistie générale au profit des membres du CNRDRE [junte] et de leurs associés, ainsi que la levée des sanctions de la CEDAO ». 

Le Mali était apparemment, depuis la chute de Moussa Traoré en 1991, considéré comme un modèle de démocratie en Afrique. En réalité « la prétendue démocratie malienne a coûté plus cher que la dictature de Moussa Traoré. L’injustice, la corruption, l’impunité, l’enrichissement illicite ont été institutionnalisés avec la démocratie. L’État en est sorti complètement discrédité. Le parti unique constitutionnel de l’époque de la dictature a cédé la place à une multitude de partis uniques construits autour d’ambitions individuelles sans fonctionnement démocratique interne. En somme, des coalitions d’intérêts plus ou moins sordides !… Cette période démocratique fût un véritable festival de brigands 3 » ! 

Que la Démocratie soit le ventre fécond du chaos rampant qui en douterait, au vu et au su de nos expériences propres, ou pire, là où elle fut imposée par la force… en Afghanistan, en Irak, en Libye et bientôt peut-être, très bientôt… en Syrie. Reste une question, aussi intéressante que lancinante : par la grâce de M. Hollande le Mali est-il appelé à devenir une nouvelle Somalie ? Réponse dans les prochains mois… 

Léon Camus 


Notes

(1 ) Oumma.com 14 janvier 2013 « Les mensonges de la propagande de guerre française au Mali ». 

(2 ) CEDEAO - Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Organisation au départ à vocation économique créée par le Traité de Lagos du 28 mai 1975, elle regroupe quinze États de l’Ouest africain : Bénin, Burkina, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. Son objectif principal est de favoriser l’intégration économique et de promouvoir un marché intra-régional. En avril 1990 la Cedeao se dotée d’une force d’interposition, l’Ecomog qui interviendra au Liberia, en Guinée-Bissau et en Sierra Leone (Encyclopædia universalis). 

(3 ) Issa Ndiaye ancien ministre de l’Éducation nationale du président Amadou Toumani Touré et ex ministre de la Culture et de la Recherche scientifique du premier gouvernement du président Alpha Konaré - 16oct12 http://www.lintelligentdabidjan.org...

http://www.geopolintel.fr/article582.html


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