dimanche 25 novembre 2012

La vie après la vie


L'au-delà vu par Salvador Dali. En 1964, l'artiste écrit «j'ai eu à la gare de Perpignan une extase cosmogonique. J'ai eu une vision exacte de la constitution de l'univers.»
L'au-delà vu par Salvador Dali. En 1964, l'artiste écrit «j'ai eu à la gare de Perpignan une extase cosmogonique. J'ai eu une vision exacte de la constitution de l'univers.»Crédits photo : akg-images/akg-images

Le best-seller d'un neurochirurgien américain remet sur le devant de la scène ces témoins qui disent revenir de l'au-delà. Constructions de l'esprit ou réelles visions du paradis ?


Le 15 octobre dernier, l'hebdomadaire américain Newsweek titrait à la une: «Le paradis existe!» Un sacré scoop, confirmant aux quelques milliards d'humains toujours dans le doute qu'il y aurait une vie après la mort. Juste en dessous, une main tendue vers un ciel troublé, percé en son centre par un rayon lumineux, illustrait la révélation. En fait, Newsweek attirait ainsi l'attention sur un neurochirurgien, le Dr Eben Alexander III, dorénavant célèbre aux Etats-Unis. Son livre, La Preuve du paradis, qui sera publié en France début janvier, bat des records de vente, s'inscrivant depuis un mois dans le tiercé de tête des ouvrages les plus achetés sur le site Amazon.com.Eben Alexander raconte dans cet ouvrage comment il est passé du statut de sceptique à celui de croyant converti, après avoir approché le paradis le temps d'un coma profond.

Au septième jour - faut-il y voir un symbole? -, il a ouvert les yeux alors que la médecine le considérait perdu. Mais surtout, il est revenu à la vie avec le souvenir d'une incroyable expérience. Il flottait sur un nuage, dans un monde où les sons étaient palpables «comme une pluie que vous pouvez sentir sur la peau mais sans qu'elle vous mouille», raconte-t-il. Il a croisé des «êtres de lumière» dans un univers où «chaque chose était distincte mais aussi une partie d'un tout, comme les dessins d'un tapis persan ou d'une aile de papillon». Pendant tout ce temps, Eben Alexander affirme avoir été accompagné par une jeune femme communiquant par la pensée. Ses paroles lui semblaient claires et particulièrement apaisantes. Elle lui disait: «Vous êtes aimé et chéri pour toujours, vous n'avez plus de raison d'avoir peur, il n'y a rien que vous pouvez faire de mal.» Plutôt sympathique, en tout cas plus engageant que de s'entendre dire: «Ça n'est pas ici que tu vas rigoler!»



Le professeur Steven Laureys, du groupe d'étude sur le coma de l'université de lièges, explore les zones du cerveau pouvant induire des impressions extraodinaires en situation de coma. Crédits photo : B.Nd/BENELUXPIX/MAXPPP



Le Dr Eben Alexander est revenu de ce voyage avec la conviction profonde que la conscience humaine dépasse le fonctionnement complexe de notre cerveau. Son livre trouble d'autant plus l'Amérique que l'homme n'a rien d'un illuminé ni d'un gourou: il précise qu'il est fils de neurochirurgien et a grandi «dans l'univers rigoureux et rationnel du monde scientifique», avant de devenir professeur de neurochirurgie à l'école de médecine de Harvard. Un brillant scientifique, donc, confronté à la mort et en revenant avec des souvenirs dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils évoquent un au-delà assez classique, l'image même du paradis tel qu'on l'imagine.

L'expérience d'Eben Alexander n'est pas un cas isolé. Depuis les recherches du Pr Raymond Moody à la fin des années 70, on appelle ce qu'il a vécu une expérience de mort approchée ou de mort imminente (EMI). Et il existe d'autres états débouchant sur la même certitude qu'un au-delà bien réel existe, comme la conscience accrue au seuil de la mort (NDA) ou les expériences de communication que des vivants peuvent avoir avec des morts (ADC).
4 % des Occidentaux ont vécu des expériences transcendantes

Les dernières études statistiques, qui remontent à une quinzaine d'années, arrivent à des résultats étonnants: 4 % de la population occidentale aurait vécu des expériences transcendantes du même type... soit 2,5 millions de Français, 12 millions d'Américains, 20 millions d'Européens!



Des chercheurs de Lausanne expérimentent l'impréssion de sortir de son corps avec des électrodes. Crédits photo : Vincent Moncorge/Look at Sciences



En 2001, le prestigieux journal médical Lancet a publié les travaux d'un cardiologue, Pim Van Lommel, où celui-ci détaillait les cas de 344 patients réanimés après un arrêt cardiaque. 18 % ont rapporté des expériences de mort imminente avec d'étranges similitudes dans leurs témoignages, comme le fait de sortir de leur corps, de traverser un tunnel, de voir des paysages célestes ou de communiquer avec des êtres de lumière. Depuis, de nombreux témoignages ont été recueillis à travers le monde, de façon plus ou moins rigoureuse.

Une fondation internationale pour la recherche sur les expériences de mort imminente (NDERF) a été créée et des équipes de chercheurs travaillent sur les EMI ou les phénomènes de décorporation (possibilité de sortir de son corps et de l'observer) en Suisse, au Canada, aux Etats-Unis... «Les expériences de mort imminente sont bien réelles, soutient le fondateur de la NDERF, le Dr Jeffrey Long. Les témoins de tous âges, de toutes nationalités et de toutes religions racontent souvent avoir vu ou entendu des choses, alors qu'ils étaient inconscients et loin de leur corps et aucune explication physiologique ne peut résoudre ce mystère.»

En France, un centre d'étude des EMI, dirigé à Paris par le professeur de philosophie et psychologue Marc-Alain Descamps, recueille des témoignages d'«expérienceurs», comme on les appelle. Sonia Barkallah, qui a fondé avec le Dr Jean-Pierre Postel le Centre national d'étude, de recherche et d'information sur la conscience (Cneric), organise des conférences et réunit à Marseille, en mars prochain, quelques-uns des grands spécialistes des EMI pour un colloque international.Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, la science prend donc très au sérieux les EMI et les phénomènes similaires. Même si Sonia Barkallah rappelle que «beaucoup de médecins et de chercheurs font encore le choix de ne pas s'implique, de peur d'être pris au mieux pour des farfelus, au pire pour des charlatans».
Sortir de son corps serait-il possible?

Le Dr Jean-Jacques Charbonier, médecin anesthésiste-réanimateur et auteur de plusieurs ouvrages sur les questions de vie après la mort, sait de quoi il retourne: «Des plaintes ont été déposées contre moi au conseil de l'Ordre qui a été obligé d'enquêter. Il a rendu un avis favorable. Mais je fais très attention à ce que je dis et à ce que j'écris sur mes convictions personnelles. À l'instar d'Eben Alexander, les personnes qui se frottent à ces expériences inexpliquées finissent par acquérir la conviction qu'il y a quelque chose au-delà de la conscience humaine ou que le cerveau n'en serait pas l'unique berceau. «Personnellement, j'ai une approche un peu schizophrène», reconnaît Stéphane Allix, fondateur de l'Institut de recherche sur les expériences extraordinaires (Inrees).



Dans Une petite musique de nuit, Dorothea Tanning représente des femmes qui semblent attendre la promesse d'une autre vie. Crédits photo : Peter Willi/ARTOTHEK/LA Collection



Ancien reporter de guerre, il a choisi d'explorer les mystères de la conscience et de la mort après la disparition brutale de son frère en Afghanistan. «L'accumulation des témoignages de personnes qui ont vécu ou étudié ces phénomènes finit par être troublante, précise-t-il. J'essaie de garder toujours une approche objective en insistant sur une chose: il faut que les gens parlent et qu'ils soient entendus. Il faut que les médecins et les scientifiques multiplient les recherches. Mais les budgets attribués ne vont malheureusement pas dans ce sens.» Le discours du cardiologue Pim Van Lommel, référence pour les EMI, est sans ambiguïté sur ses convictions actuelles. «Le concept entériné par la médecine contemporaine comme quoi la conscience est produite par un cerveau fonctionnel n'a jamais été prouvé, affirme-t-il.

On peut donc imaginer que le cerveau ne produit pas la conscience mais qu'il la reçoit, ce qui expliquerait les EMI et le fait que des personnes, considérées comme cliniquement mortes continuent à vivre en dehors de leur corps.» Rigoureux sur le choix des termes, les défenseurs des EMI ne prononcent jamais les mots «âme», «paradis» ou «au-delà». Mais, si l'hypothèse est retenue que la conscience ou même la mémoire ne sont pas uniquement stockées dans le cerveau, si le cerveau n'est que le récepteur d'un champ de conscience extérieure à notre corps, il faut bien quelque part un émetteur, l'idée d'un esprit supérieur, d'une âme capable d'interagir avec cette puissance supérieure.
Quelque chose au-delà de la conscience

Face à cette conception, le matérialisme scientifique vole en éclats. Les instances religieuses évitent de se prononcer sur le sujet, rappelant que la foi est affaire personnelle. Mais la rémanence d'une vision du paradis dans les EMI ne manque pas de conforter les croyants ou, en tout cas, d'ajouter des éléments tangibles à leur conviction. Reste que les scientifiques ne sont pas tous sans réponses face aux EMI ou aux expériences étranges comme la décorporation. Beaucoup de cas s'expliquent, selon eux, par l'anoxie du cerveau. Ce dernier, qui se retrouve en manque d'oxygène à l'approche de la mort, pourrait avoir des comportements encore inexpliqués. Des médecins soulignent aussi que les personnes qui vivent ces EMI sont parfois lourdement médicalisées, sous l'effet de psychotropes comme la kétamine ou le LSD, dont les propriétés hallucinogènes sont largement détaillées dans la littérature hippie de la fin des années 60.



Un détail bouleversant de l'Ascension vers l'Empyrée de Jerome Bosch, très proche du tunnel de lumière qu'évoquent les personnes revenant à la vie. Crédits photo : akg-images / Cameraphoto/akg-images / Cameraphoto



Pour le Dr Steven Laureys, qui dirige le Groupe d'étude sur le coma de l'université de Liège, une chose est sûre: on ne revient pas de la mort. Il a notamment démontré qu'un cerveau, même dans un coma profond, garde une activité. «On connaît de nombreux cas de personnes qui, une fois sorties du coma, expliquent qu'elles entendaient parfaitement ce qu'on disait autour d'elles», rapporte le Dr Philippe Presles. Tout récemment, des médecins ont pu communiquer grâce à l'imagerie médicale avec un malade plongé dans un état végétatif profond depuis plus de dix ans. L'utilisation de ces nouveaux outils permet de mieux comprendre les champs de notre conscience et surtout d'interagir avec des malades dont l'état correspondait jusqu'à présent à une absence apparente de conscience.

Le caractère mystérieux de ces expériences étranges aux portes de la mort pourrait donc s'expliquer assez simplement par le fait que l'homme ignore encore, en grande partie, le fonctionnement et les possibilités de son cerveau. Les travaux récents du neurologue suisse Olaf Blanke sur les expériences de décorporation ont aussi apporté un début de réponse intéressant sur cette phase de certaines EMI. En activant par des électrodes une zone du lobe temporal droit d'une de ses patientes atteinte d'épilepsie, il s'est rendu compte qu'il provoquait chez elle des sensations de flottement et d'élévation typiques des sorties hors de corps qui correspondent à la première phase des EMI. Il a aussi pu tester que le cerveau peut facilement perdre ses repères dans certaines conditions, jusqu'à éprouver la même impression de décorporation.

Face à ces arguments, les défenseurs des EMI vécues comme des expériences réelles de vie après la mort racontent des cas biens plus mystérieux encore de déplacements dans l'espace, des phénomènes d'anticipation, de médiumnité, de communication avec des morts... Autant de récits à propos desquels les sceptiques rappellent qu'ils dépendent de la valeur toujours contestable des témoignages. Dans les deux camps, on reconnaît malgré tout l'importance de poursuivre les recherches et d'émettre des hypothèses. Quelques scientifiques, le Dr Stuart Hameroff et le physicien Roger Penrose, par exemple, développent ainsi des théories alternatives, se fondant sur l'existence d'un «esprit quantique» qui ne respecterait pas les règles de notre Univers (les contraintes d'espace et de temps), à l'image de la physique quantique dans l'infiniment petit.

La conscience serait comme une sorte de programme persistant dans l'Univers après notre mort, ou capable de le réintégrer en cas d'EMI. Au bout du compte, seule une meilleure connaissance du fonctionnement de notre cerveau pourra apporter, sans doute dans les prochaines décennies, des réponses plus précises sur ces interactions avec un paradis aux valeurs universelles que ceux qui ont approché la mort de près affirment avoir réellement visité.

source: Le Figaro Magazine

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