La France se prépare à intervenir militairement contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Sahel. Le principe d’un assaut dans la région pour la libération de ses otages est même acquis.
Selon le journal français Le Figaro, « la France est à l’avant-garde de la future opération, dont l’ossature sera composée des forces de la Cédéao, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ».
En tenant compte de son expérience en Afghanistan depuis plus de dix ans, les forces armées françaises ont prévenu leurs alliés que « leur participation aux opérations extérieures se limiterait dorénavant à un cadre multilatéral ».
« Nous voulons seulement avoir un rôle de facilitateur. Pas question d’envoyer des troupes au sol», explique un diplomate français au quotidien Le Figaro qui révèle qu’une « centaine de membres des forces spéciales françaises ont déjà été déployés dans la région. Ils devraient être prochainement renforcés, notamment par les commandos de la Marine nationale. L’aide française comprend également des avions de patrouille maritimes, qui récoltent du renseignement, et un système de surveillance basé au Niger ».
A en croire la même source, « les hypothèses envisagées, notamment à Paris, il s’agirait de former une force d’action de quelques centaines d’hommes pour reconquérir le nord du Mali, occupé depuis plusieurs mois par les groupes armés islamistes. Un noyau dur de 40 hommes, un premier cercle de 200 à 400 hommes et une piétaille de 3000 à 4000 hommes forment cette nébuleuse islamiste ».
L’Algérie est accusée de « liens ambigus avec certains protagonistes de la crise, comme les islamistes touaregs d’Ansar Eddine qui contrôlent Kidal » après avoir relevé son refus de « toute ingérence dans le Sahel ».
Une situation qui préoccupe également, vivement, les chefs politiques et militaires français. Il y a un mois, à Lorient, son fief politique, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait déclaré qu’une intervention militaire africaine conduite sous les auspices de la Cédéao et, « éventuellement », de l’Union africaine, était « souhaitable et inéluctable ». La France la « soutiendrait ». « Il faut éviter par tous les moyens que cette partie du Mali devient un « Sahélistan » et les ingrédients sont en train de se rassembler pour qu’elle le devienne ». On ne peut pas être plus clair.
Première étape de cette intervention qui ne devrait pas débuter avant la fin du sommet francophone (occasion d’expliquer ce qui se passe et de trouver des soutiens à cette opération ; et non pas d’être une tribune des ultras pour dénoncer « l’interventionnisme français en Afrique ») : le réquisitoire contre les « occupants » du Nord-Mali. Une mission de la CPI est depuis le 28 août 2012 au Mali afin de « recueillir le maximum d’informations sur les crimes perpétrés par les islamistes et les Touareg dans le Nord du Mali » : exécutions sommaires ; viols ; massacres de civils ; enrôlement d’enfants-soldats ; tortures ; pillages ; disparitions forcées ; destructions de symboles de l’Etat, d’églises, de mosquées et de mausolées.
Le chef de cette mission est Amady Bâ, magistrat sénégalais, ancien directeur de la magistrature, en charge de la coopération internationale (division responsable des enquêtes et des poursuites) au bureau du procureur de la CPI depuis 2008. La mission, dit-il, est « une phase d’analyse, de recoupement d’informations. Nous allons retourner avec ces éléments et le procureur jugera alors s’il faut commencer des enquêtes avant d’engager des poursuites ». « La mission de la CPI [qui comprend trois membres, dont Bâ] restera le temps qu’il faut. Je ne peux pas dire combien de jours. Le dossier transmis par le groupe de travail pour la saisine de la CPI est clair : il s’agit des exactions commises par les occupants des trois régions du Nord », a précisé le ministère malien de la Justice, étant entendu que c’est le gouvernement de Bamako qui a saisi la CPI en juillet 2012.
A Hammamet, en Tunisie (Tunis, en marge de ce dossier malien, était jusqu’à présent dans la retenue), les 30-31 août 2012, l’ex-ministre des Affaires étrangères mauritanien Ahmedou Ould-Abdallah, ancien représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Burundi, en Afrique de l’Ouest, au Soudan, en Somalie, a organisé une conférence sur le risque sécuritaire et la menace islamiste dans « le corridor sahélo-saharien » intitulée : « Situation au Sahel Sahara et acteurs extérieurs ». Ould-Abdallah et son Centre de réflexion sur la sécurité dans la région Sahel Sahara (Centre/4S) avaient déjà, le 18 juillet 2012, organisé un briefing à Nouakchott à l’occasion de la réunion dans la capitale mauritanienne des chefs d’état-major d’Algérie, du Mali, de Mauritanie et du Niger.
Selon Ould-Abdallah (Journal du Dimanche du 2 septembre 2012) : « Les terroristes d’AQMI ne sont que les intermédiaires des trafiquants installés dans tout le golfe du Bénin. Leurs réseaux, au plus haut niveau de chaque Etat de la région, sont considérables. J’ai des noms et la liste est considérable ». Là encore, on ne peut pas être plus clair : l’éradication des groupes islamistes qui occupent le Nord du Mali ne relève pas de la politique mais de la morale étatique ! Tout cela dans un contexte particulier.
En Afrique musulmane, le ramadan a pris fin ; en « Occident », la rentrée politique est effective. Et sur le terrain, on annonçait hier (samedi 1er septembre 2012), la prise de Douentza par les islamistes, sur la RN 15, porte d’entrée par le Nord du pays Dogon, à moins de 100 km à vol d’oiseau de Bani, à la frontière Mali/ Burkina Faso (Bani ne se trouve qu’à 70 km de Ouahigouya). Aujourd’hui (dimanche 2 septembre 2012), Nouakchott annonce l’exécution par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUAJO), dissidence d’AQMI dont on ne sait pas grand-chose, du vice-consul algérien Taher Touati enlevé avec cinq de ses concitoyens le 5 avril 2012. Provocations ?
Paris, qui préside le Conseil de sécurité, met donc les bouchées doubles dans la perspective d’une intervention. Dans une enquête publiée par RAIDS (septembre 2012), Jean-Marc Tanguy nous dit que, côté français, « tout est prêt » et le commandement des opérations spéciales (COS), déployé sur le terrain depuis 2008 (notamment pour la formation des forces spéciales mauritaniennes, le protocole de formation ayant établi que le COS pouvait s’entraîner dans le pays), « est largement monté en puissance […] formant un groupe de forces spéciales dédié, baptisé Sabre* ». Tanguy précise que « ses contours exacts, ses lieux de stationnement sont inconnus » mais chacun sait que, globalement, les bases conventionnelles françaises sont implantées à Dakar et à Ndjamena et que le COS a pris ses quartiers à Ouagadougou**.
Dans cette perspective, le COS a dégarni les autres terrains où il était en mission afin de récupérer « une quarantaine d’opérateurs ». « La réalité des moyens du COS au Sahel, écrit Tanguy, est difficile à discerner. Ces derniers mois, rien que le 1er RIPMa y aurait envoyé plus de la moitié de ses GRA [groupes action]. Une bonne partie des équipes de recherche du 13ème RDP y a aussi été mobilisée, avec une importante flotte de VPS [Véhicule de patrouille spéciale, construits par Panhard qui a remplacé les VLTT-P4 – véhicules légers tout terrain – fabriqués par Peugeot] ». Le CPA 10 – Commando parachutiste de l’air n° 10 qui relève directement du COS – « pourrait être également de la partie ». « Le COS n’a tout simplement jamais mené une traque sur cette échelle, aussi longtemps », ajoute Tanguy.
Au-delà du COS, les forces conventionnelles sont également mises à contribution en matière de transport et de renseignement, l’importance de la zone concernée obligeant à des actions combinées entre forces terrestres et moyens aériens. Drones Harfang (fabrication EADS) – mis en action, au départ de la base de Sigonella, lors de l’opération « Harmattan » contre la Libye de Kadhafi – ATA, avions de transport d’assaut ; Twin Otter du 3/61 « Poitou » ; Mirage F1CR (reconnaissance/bombardement) et Mirage CT (bombardement) basés à Ndjamena ; hélicoptères Gazelle, etc.
Paris prépare donc le terrain. Reste, maintenant, à la Cédéao de l’occuper. Dans une opération à hauts risques dont la réussite militaire et politique est aléatoire et dans laquelle c’est toute la région, de Nouakchott à Ndjamena, qui joue sa crédibilité et sa souveraineté.
* « Sabre du désert » était le nom de code de l’opération terrestre qui a été déclenchée le 24 février 1991 contre Saddam Hussein en Irak. Faut-il y voir un rappel de cette opération ?
** Le patron du COS a été, jusqu’au 7 juillet 2011, le général Frédéric Beth. Il a été remplacé par le général Christophe Gomart, ancien du 13ème Dragons parachutistes, nommé par la suite adjoint au coordonnateur national du renseignement à l’Elysée. Frédéric Beth est le frère d’Emmanuel Beth, général reconverti dans la diplomatie, ancien patron de la force « Licorne », ambassadeur de France à… Ougadougou (cf. LDD Burkina Faso 0230/Mercredi 18 août 2010). Quant à Frédéric Beth il est, depuis qu’il a quitté le COS, directeur du cabinet du préfet Erard Corbon de Mangoux, patron de la DGSE, ce qui en fait le numéro deux de nos « services ». A Dakar, le patron des Eléments français au Sénégal (EFS) est le général de brigade Grégoire de Saint-Quentin, un ancien chef de corps du 1er RPIMa, qui relève directement du CEMA ; Saint-Quentin était lieutenant-colonel au Rwanda lors de l’attentat du 6 avril 1994 contre les présidents burundais et rwandais et traîne, de ce fait, une réputation sulfureuse en Afrique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Nous vous invitons ici à donner votre point de vue, vos informations, vos arguments. Nous refusons les messages haineux, diffamatoires, racistes ou xénophobes, les menaces, incitations à la violence ou autres injures. Merci de garder un ton respectueux et de penser que de nombreuses personnes vous lisent.
La rédaction