mercredi 8 août 2012

La soif du malt:Charles MacLean



Le whisky, ce n’est pas grand-chose : de l’eau, la plus pure possible ; de l’orge, soit une graine somme toute ordinaire ; et, enfin, du bois, celui des fûts, de chêne en général, où il va séjourner plus ou moins longtemps. C’est là qu’il faut croire à l’alchimie puisque, au final, avec ces trois éléments et la grâce d’un alambic, on arrive à un divin nectar comme ce Linlithgow de 1982 qui frôle les 60° et que Charles MacLean fait déguster, l’air grave, mais l’œil pétillant derrière son monocle. Un whisky qui n’est connu que de rares amateurs mais à faire se damner un archange.
Justement, les anges écossais, les amateurs le savent bien, carburent au whisky sur les autoroutes célestes. C’est pourquoi ils prélèvent chaque année 2% du contenu des futailles des distilleries. Cette évaporation, là encore un peu magique, c’est ce qu’on appelle la «part des anges». Ce Linlithgow ayant passé une petite trentaine d’années dans un tonneau, cela fait un beau volume d’alcool qui a échappé à l’homme et… au percepteur. Et si l’on parle ici des eaux-de-vie écossaises et de ces créatures dont on n’a jamais réussi à déterminer le sexe avec certitude, c’est parce qu’elles sont au cœur de l’intrigue du dernier film de Ken Loach, la Part des anges précisément. Parmi les acteurs, une brochette d’amateurs, tous écossais, qui nous entraînent dans une histoire peu banale de délinquants sur le chemin du salut et de la rédemption grâce au whisky. Autre acteur amateur : notre Charles MacLean. Lui n’est pas un voyou mais a consacré sa vie à raconter l’histoire de ce breuvage, ce qui lui vaut d’incarner un rôle sur mesure dans le film de Ken Loach : le sien. «Au départ, relève Philippe Jugé, journaliste à Whisky Magazine, Charles MacLean a été contacté pour être le conseiller whisky sur le tournage, mais sa personnalité et son charisme ont fait qu’il a été embauché sur le champ pour jouer son propre rôle. C’est de très loin le plus grand et le meilleur historien et écrivain du whisky à l’heure actuelle et depuis longtemps.»
D’abord, une petite leçon de dégustation par le maître : «Le bouquet de ce Linlithgow est magnifique, minéral, calcaire, comme le chablis. Vous sentez, la finale est un peu courte. Mais c’est très bien pour l’apéritif. Maintenant, au palais, on découvre qu’il vient d’un fût qui a contenu du dry sherry [du xérès sec, ndlr]. C’est long en bouche, avec un corps consistant qui la remplit entièrement. Il vaut mieux le boire avec un peu d’eau. Vous, les Français, préférez boire les pur malt secs, mais pas nous, les Ecossais. L’eau, cela fait sortir les arômes.»Hélas, la distillerie Linlithgow a fermé ses portes, «en 1983», précise Charles MacLean qui connaît l’histoire de toutes les distilleries écossaises, lesquelles se comptent encore par dizaines.
Né à Glasgow comme les héros du film et vivant aujourd’hui à Edimbourg, cet ancien avocat, père de trois enfants, a abandonné le droit pour devenir agent littéraire avant d’écrire sur le whisky, en 1981. C’est bien plus tard qu’il se formera à la dégustation, en 1992, au Scotch Whisky Research Institute. Depuis, il a écrit treize livres, dont son Malt Whisky traduit en dix langues. «J’aime faire des recherches sur le whisky, j’en sais déjà beaucoup mais je continue d’apprendre. Il est le sang de notre petit pays, l’Ecosse. On a commencé à le distiller dès le XIVe siècle. Mais il a pris son essor en 1720 grâce à la révolution industrielle quand les paysans se sont mis à produire plus de grains qu’il ne leur en fallait.»
Charles MacLean a une idée fixe : «Quand on achète une bouteille de whisky, on achète bien plus qu’une eau-de-vie en bouteille. Qu’on l’aime ou pas, on achète de la culture, de l’histoire, du savoir-faire, de la tradition.» Aussi craignait-il que le scénario ne s’inscrive à l’inverse dans un contexte de déchéance, d’alcoolisme et de misère sociale. Mais non. Le scénariste Paul Laverty partageant le sentiment que les bons whiskies, par la complexité de leurs arômes et saveurs, exercent«une influence civilisatrice», la cause du whisky allait être bien servie. En outre, l’historien du whisky apprécie Ken Loach pour le «réalisme social brutal» de ses films, «empreints de compassion et d’une profonde humanité.»
Sa quête des grands malt lui permet de goûter aux plus prestigieux flacons mais ne remplit pas pour autant son portefeuille : «C’est long la rédaction d’un bouquin. Pendant ce temps, j’ai des problèmes avec les banques, ce qui rend ma femme nerveuse.» Aussi, entre deux livres, arrondit-il les fins de mois avec des brochures publicitaires pour des spiritueux. Certes, le whisky est devenu une industrie mais il continue de s’inscrire dans une mythologie. Avec ses héros, ses légendes, ses rites de passages, ses clubs… L’historien s’enorgueillit ainsi d’avoir accédé au titre de Master Quaich, autrement dit maître de la Coquille Saint-Jacques (en gaélique), une association de gardiens du temple créée à la fin des années 80 pour rendre hommage à tous ceux qui ont rendu service à l’Ecosse et au whisky business. Nous, ces titres honorifiques, cela nous fait ni chaud ni froid. Lui, c’est tout le contraire. «Je suis devenu Keeper ["gardien", ndlr] of the Quaich en 1992. Des gardiens, il y en a des centaines. Mais il existe une fonction plus haute dans la hiérarchie, qui s’appelle "Maître". Ils ne sont que 50. Je le suis devenu en 2009.» Dans le film de Loach, c’est lui qui a imposé aux scénaristes la marque de whisky mythique autour de laquelle le scénario s’est construit : le Malt Mill. Comme Moby Dick, on en parle beaucoup mais on ne le goûte jamais : «Comme les producteurs voulaient un whisky qui parte aux enchères pour une somme exorbitante, je leur ai suggéré ce Malt Mill, d’une distillerie bâtie au sein de la distillerie Lagavulin à Inslay en 1908 et qui a fermé en 1962. Il n’existe plus aucune bouteille de Malt Mill en circulation à ce jour. Trois bouteilles sont prétendument du Malt Mill mais on estime que deux d’entre elles sont des contrefaçons. C’est donc un produit des plus rares. Les collectionneurs de whisky du monde entier - ils sont nombreux - donneraient tout l’or du monde pour une bouteille de Malt Mill.»
L’air du temps fait que le whisky n’est plus ce qu’il était au départ, un simple alcool de paysan. A présent, il se pousse du col. Les grands pur malt, et même certains blended, sont de plus en plus considérés comme des produits d’exception, voire de collection. D’où une envolée invraisemblable des prix. Un whisky (blended), le Royal Salute, vient ainsi d’être lancé sur le marché mondial et commercialisé en France (une seule bouteille) par Pernod Ricard pour la bagatelle de… 177 000 euros. Charles MacLean court-il après ces nectars hors de prix ?«Pour être franc, l’essentiel de mon travail s’effectue avec des whiskies pur malt. Du coup, vers 18heures, quand j’ai envie d’un verre, je prends plutôt un (simple) scotch. Et mon préféré c’est le Johnnie Walker Black Label.» Soit un whisky blended, très honnête, bien équilibré, vendu à un prix raisonnable dans tous les supermarchés.«C’est aussi simple que cela», poursuit-il. Un vrai gentleman whisky.

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