Les divisions s’accentuent en Egypte à quelques jours du référendum sur la Constitution. Une violente attaque contre les opposants la semaine dernière a été précédée et suivie de décisions politiques maladroites, étoffées de menaces par les Frères musulmans.
(Photo: AP)
Cartouches et cocktails molotov. Il est 2 heures du matin en cette nuit du 10 au 11 décembre lorsque le sit-in de Tahrir est attaqué. Les révolutionnaires sur place décident de pourchasser les assaillants et installent des postes de contrôle à l’entrée de la place. Les scènes de guerre qui s’étaient déroulées quelques jours plus tôt à Héliopolis les met aux aguets.
Un jour plus tôt, dans la nuit du 9 au 10 décembre, presque à la même heure, le chef de l’Etat, revenait sur une décision et une loi publiée dans le journal officiel augmentant les taxes sur des produits de grande consommation et services de base. « Une suspension et non pas une annulation », s’efforce de préciser la présidence, en attendant la conclusion d’un « dialogue » sur les effets de cette décision sur la population. « Le président en rentrant chez lui, a réalisé l’impact de ces décisions sur les plus pauvres», dit-on. Mais il a probablement pris cette décision pour éviter davantage de colère de la part de la rue à l’approche du référendum sur la Constitution, la plus controversée de l’histoire de l’Egypte. Jeudi 6 décembre, le palais présidentiel invitait une quarantaine d’hôtes pour un dit dialogue avec le président Morsi autour de la crise qui battait son plein depuis plus de deux semaines en Egypte. Les opposants qui manifestaient la veille par dizaines de milliers en bas de ses fenêtres ont opposé une fin de non-recevoir à son invitation. Du coup, le chef de l’Etat s’est retrouvé en négociations avec ses propres partisans.
« Morsi discute avec Morsi », résumait l’opposition. Pourtant, la rencontre engendre un recul avec l’annulation du décret contesté du 22 novembre qui lui accordait des pouvoirs exceptionnels. Un article qui mettait les décisions du président à l’abri de tout verdict judiciaire est ainsi supprimé. Ce sont justement ces pouvoirs élargis qui ont été à l’origine de la crise politique provoquant des manifestations meurtrières et qui ont mis en exergue les erreurs manifestes du chef de l’Etat depuis sa prise de fonction. Morsi, en effet, multiplie les décisions politiques et économique à grand risque.
Lundi 10 décembre encore, le président égyptien a conféré à l’armée le pouvoir d’arrêter des civils et d’assurer la sécurité jusqu’aux résultats du référendum constitutionnel du samedi 15 décembre. Morsi lui-même avait, une fois élu en juin dernier, écarté par un coup de théâtre l’armée de la scène politique en limogeant les très puissants membres du Conseil militaire qui gérait le pays depuis la chute de Moubarak.
L’armée a néanmoins fait entendre sa voix dans la crise en appelant les parties au dialogue et a prévenu qu’elle ne tolérerait aucune violence. Jamais, en présence d’un président à la tête du pays, l’armée n’avait publiée un communiqué indépendamment du pouvoir, « même durant la guerre avec Israël en 1967 ou 1973 », explique le politologue Diaa Rachwan. Le communiqué ne cite pas non plus « le président » ou « la légitimité » et met à pied d’égalité tous les protagonistes. « Un texte à interprétation mixte », croit Rachwan. Les chars trônent déjà aux abords du palais présidentiel où campent les révolutionnaires opposés au président. Vendredi dernier, journée de grandes manifestations, la Garde présidentielle avait laissé passer les militants hostiles au chef de l’Etat devant les portes du palais. Le régime des Frères musulmans est pourtant confiant du soutien de l’armée qui devrait désormais épauler une police suspicieuse. Les Frères ont ainsi critiqué le ministère de l’Intérieur pour son incapacité à empêcher les attaques sur les sièges de la confrérie. Ils sont persuadés que les restes de l’ancien régime (les felouls) veulent démettre leur légitimité. Le discours est celui du complot. De surcroît, les faucons de la confrérie sont sortis cette semaine à plusieurs reprises pour parler d’un plan monté par des opposants à « l’intérieur et l’extérieur » pour déstabiliser le président.
« C’est leur dernière bataille »
Le « noyau dur » de la confrérie, le guide, son adjoint, le secrétaire général et le porteparole développent le même discours (lire page 4). Leur dernière sortie conjointe remonte au début de l’année pour annoncer la candidature à la présidentielle du très influent Khairat Al- Chater avant qu’il soit écarté par la commission électorale. « Ils sont en crise et il le savent », dit le chercheur Ammar Ali Hassan. « Ils pensent que c’est leur dernière bataille, et cherchent alors à placer le débat politique sur le terrain de la surenchère identitaire pour récolter des partisans », poursuit-il. Un combat entre laïcs et islamistes, entre ceux qui iront en enfer et ceux qui siégeront au paradis en votant « oui » à la Constitution « islamiste ». En rassemblant les islamistes les plus radicaux autour de lui, Chater a affirmé que « toutes les options sont ouvertes » pour protéger la « légitimité et la charia ».
Pour lui, tout est permis : une campagne de délégitimation de l’opposition, l’accusant en bloc d’être formée de felouls ou d’agents de l’Occident, une brutalité contre les manifestants, des menaces de mort contre les opposants, et un siège, depuis vendredi, contre la Cité de production médiatique, d’où diffuse les chaînes privés et où l’on menace de « traîner les journalistes par terre, jusqu’à la mort »... Le langage de guerre est fréquent. Yousri Hammad, porte-parole du parti salafiste Al- Nour, un allié des Frères, a ainsi mis en garde contre « une révolution islamique si le président Morsi est touché. Une révolution devant laquelle aucune armée ne pourra s’opposer », dit-il. Des déclarations scandaleuses qui ne suscitent pourtant aucune réaction officielle. Le portail d’information d’Al-Ahram qui les avaient rapportées, finit par les supprimer. Mais tout est archivé sur internet...
Même s’ils refusent de reporter le référendum sur la nouvelle Constitution, les islamistes ne semblent pas confiants dans son adoption, surtout avec la mobilisation massive des « laïcs » ces deux dernières semaines dans la rue. Ces derniers mettent en garde contre « une violente confrontation » si le régime persiste dans son entêtement à voter la Constitution. Le Front de salut national qui regroupe les principales figures de l’opposition cherche à obtenir l’annulation pure et simple du référendum, sinon, il optera pour une campagne en faveur du non. De nouveaux rassemblements étaient prévus mardi. Mais quelle que soit l’issue du référendum, le fossé provoqué par cette crise au sein de la population ne cesse de grandir .
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La rédaction