lundi 19 novembre 2012

Irak/États-Unis : F-16 trop… « casher » pour ventes d’armes sous influence – Pat Jacques Borde

Ces derniers jours, la version du F-16 qui fait l’actualité serait plutôt le F-16I Soufa impliqué (pour partie) dans les raids aéroportés de l’Heyl Ha’Avir (Israël Air Force) sur les positions du Hamas. Au passage, démentons, ici, la rumeur (arabe) qui voudrait qu’un de ces appareils ait été abattu par la DCA gazaouie ! Pour rester dans la saga de cet avion de combat, penchons-nous sur cet autre utilisateur du F16IQ : l’Irak. Un volet qui ne manque pas de saveur, vous allez comprendre pourquoi !…

Les gens de ma génération se souviennent encore de ce spot publicitaire campant un émir rondouillard grondant sa progéniture, attirée par une voiture made in France, d’un « pas assez cher, mon fils » ! Dans un registre à peu près semblable, et guère moins ridicule, des voix s’élèvent à Bagdad pour s’inquiéter de la présence de composants… israéliens à bord des F-16 commandés auprès des États-Unis.
Les autorités irakiennes auraient, en effet, découvert que leurs chasseurs-bombardiers F16, si difficilement acquis auprès des États-Unis, « seraient » (sic) équipés de dispositifs d’enregistrements d’informations made in..Israël !
Du coup, selon plusieurs agences et sites – tous sis au Proche-Orient, est-il important de préciser, car la rigueur de l’info n’est pas garantie sur facture – le commandement de la renaissante Al-Qūwāt al-Jawwīyä al-Irakiya (armée de l’air irakienne) s’est fendu d’une lettre de protestation à Lockheed-Martin (le constructeur du F-16), lui faisant part de son mécontentement pour la présence de ces dispositifs, ô combien hétérodoxes selon lui.
À en croire nos sources orientales donc, des équipement de de type « TEAC » (sic) produits par la société israélienne « RADA » (re-sic) seraient présents sur les appareils de combat récemment achetés par l’Irak. Et Bagdad, le complot (forcément!) découvert, a exigé leur remplacement. Lockheed-Martin aurait envoyé les Irakiens sur les roses, car le changement de tels dispositifs aurait coûté trop cher.
Pourquoi vous parler de cette affaire pour le moins ubuesque ? En fait, pour deux raisons. Primo, parce qu’il serait temps pour beaucoup (et pas seulement les Irakiens) de tempérer leurs ardeurs en matière de patriotisme technologique1. Les appareils (militaires et civils, voir la part de composants européens sur un 787 Dreamliner de Boeing) se font la plupart du temps en coopération(s) internationale(s). Secundo, parce qu’elle est révélatrice de la schizophrénie des dirigeant arabes dès qu’il s’agit d’évaluer leurs relations avec tout ce qui peut toucher, de près ou de loin, l’État hébreu.
Concernant le point n°2, à savoir la schizophrénie arabe, j’ajoute (mais, qui sait, ne suis-je pas une composante du dit complot ?) ne pas avoir réussi à identifier les produits « TEAC » ni même la société « RADA ». Serait-on en présence d’un de ces nombreux faux scoops qui inondent les agences de presse proche-orientales ? À voir…
Ceci dit, il n’est pas trop difficile de constater que l’émoi des Irakiens est sans objet véritable (pour ne pas dire une complète ânerie). En effet, à y regarder de plus près, le F16IQ proposé à l’Irak est en réalité un F16Block 52 dégradé. À comparer avec le F-16I Soufa qui est un Block 52 survitaminé, mais destiné à l’Heyl Ha’Avir.
Parent pauvre de cette mirifique lignée de montures aéronautiques, le F16IQ est doté d’un radar APG-68V9 à antenne classique (alors que des retrofits à antenne active sont, désormais, en catalogue chez Raytheon, Northrop Grumman ou l’européen SELEX Galileo). Au niveau armement, les F16IQ n’iront pas bien loin non plus. En effet, si le F-16 version export est systématiquement doté2 de missiles moyenne portée de type fire & forget3 AIM120C/D Amraam, Bagdad devra se contenter du missile air/air de moyenne portée à guidage radar semi-actif AIM-7 Sparrow remontant à la guerre du… Viêt-Nam ! Concrètement, à la différence du AIM120C/D Amraam, le pilote ayant lâché son Sparrow doit illuminer sa cible jusqu’à l’impact, sous peine de rater son coup ! En face, doté de AIM120C/D Amraam, de R-77 russe, de Mica français, ou de Python israéliens, n’importe quel pilote lui règlera aisément son compte.
À courte-portée, pas mieux ! Les Tanguy et Laverdure irakiens devront se contenter de matériel obsolète, avec des AIM9L/M alors que le standard US est aujourd’hui4 au AIM9X. Idem pour les missions air/sol, les pilotes irakiens n’auront pas à leur disposition de munitions intelligentes mais des bombes lisses et des missiles AGM-65 Maverick datant des années 805…
But de cette prudence bien ordonnée du protecteur états-unien : ainsi dotée, l’Al-Qūwāt al-Jawwīyä al-Irakiya pourra, certes, retrouver ses marques en matière de défense aérienne mais sans pour autant représenter une menace pour un environnement miliaire majoritairement pro-occidental. À Washington, business as usual, mais (ne rêvons pas) pas au détriment de certaines priorités !
À noter que même vis-à-vis de la Syrie et de l’Iran. Les F-16IQ irakiens se trouveront (au mieux) à parité face aux MiG-29 syriens6 et aux appareils iraniens, MiG-29A Fulcrum, Mirage F1EQ5/67 et autres F14A Tomcat, de la Nirouy-é-Havei Jomhouri-é-Eslami-é-Iran (armée de l’air de la RI d’Iran). Quant à la gamme des Saeqeh, dérivés du F-5E/F Tiger II8, les informations la concernant sont trop aléatoires pour en déduire quoi que ce soit de probant.
Pour en finir avec le F16IQ, une inconnue résiderait, toutefois, dans le niveau de protection conféré par les systèmes d’autoprotection ALQ-211 ou ALQ-187. Tout ceci pour dire que, compte tenu des versions livrées, la présence (ou pas) d’équipements made in Israël – outre que rien ne dit que les dispositifs incriminés n’aient pas été un plus pour les F16IQ dramatiquement sous-équipés, les Israéliens ne passant pas pour des guignolos dans ce secteur – n’est pas le souci majeur qui devrait préoccuper les pilotes irakiens lorsqu’ils décolleront !…
Question subsidiaire : Vers qui Bagdad pourrait-il se tourner pour s’équiper de matériels dernier-cri (et, accessoirement non munis de composants… israéliens) ?
Bagdad – dont une importante délégation de militaire s’était rendu à un récent salon d’armement moscovite9, où son intérêt pour les systèmes antiaériens de courte à moyenne portée Pantsir S-110 avait été remarqué – vient de passer commande pour un montant de 4 milliards de dollars auprès de la Russie. Le quotidien Vedomosti précisant que 42 systèmes Pantsir S-1 figurent bien dans le contrat, ainsi que 28 hélicoptères Mi-28HE. Visiblement pas d’avions de combat dans ce premier panier irakien, mais, le fait de se tourner vers Moscou est-il pour autant LA solution ?
Pas sûr. Selon le spécialiste des questions militaires et stratégiques, Igor Korotchenko, Washington va tout faire pour bloquer le contrat russe. Korotchenko rappelant, qu’entre 2008 et 2011, les États-Unis auront livré pour 6,56 Md$US d’armes à l’Irak tandis que dans le même temps, les exportations d’armes russes n’ont atteint que 246 M$US. Un écart qui, « permet d’affirmer que les États-Unis contrôlent complètement la politique de Bagdad en ce qui concerne les achats d’armes. Il n’est pas réaliste de penser que la tendance va changer jusqu’à permettre à la Russie de remporter un contrat de 4,3 milliards de dollars » pronostique Igor Korotchenko. De ce fait, et d’une manière générale, la vente d’hélicoptères d’attaque Mi-28HE ou de chasseurs MiG-29M2 restera « irréaliste », compte tenu de la domination US dans ce segment. Korotchenko estime toutefois que Moscou garde, malgré tout, quelques chances de placer une poignées d’hélicoptères de transport Mi-17. Ce d’autant que les Américains eux-mêmes (la CIA et les SMP11 notamment) utilisent des Mi-7 de conception russe. Un recours à des voilures tournantes russes qui porte un nom : externalisation. Il a aussi un coût ! 602 M$US, ce pour la période allant du 1er novembre 2012 au 31 octobre 2013. Officiellement, les États-Unis auraient souhaité une baisse de ce poste de dépenses. Mais, si on le compare avec le Task order du 3 novembre 2011 (418 M$US), c’est raté ! Une hausse qui a, cependant, une explication rationnelle : l’augmentation des rotations liées au retrait d’Afghanistan.
Qui plus est, ne pas acheter US ne garantit pas que des composant divers et variés (dont made in Israël) ne soient inclus dans les matériels commandés. Sans parler de la propension russe à livrer aux Occidentaux – ce qu’ils ont fait lors de la 1ère Guerre du Golfe – les codes sources des matériels livrés à leur clientèle proche-orientale !
Quelles autres options reste-t-il aux sourcilleux Irakiens ?
Notons que, d’ores et déjà, ils sont clients de la République tchèque. En effet, Bagdad, vient de confirmer son choix pour l’appareil d’entraînement et d’appui au sol tchèque, le L-15912. Selon les annonces du ministre de la Défense irakien, Saadoun al-Dulaimi13, l’Al-Qūwāt al-Jawwīyä al-Irakiya alignera à terme 28 exemplaires du L-159, ce pour un montant et un calendrier qui n’ont pas été précisés.
Ouf, sauvés ! Sauf que Aero Vodochody reste aussi un partenaire de… Boeing, même si l’avionneur US vient de céder ses parts au groupe Penta ! Penta, Penta ? Est-ce bien tchèque c’nom là ?
Il y a bien (aussi) les Chinois. Outre leurs clones d’appareils russes14, la Chine développe désormais des appareils de 5ème génération (J-20 ou J-31), du gabarit du MiG-29 ou du F-16, supposément furtifs, utilisant des moteurs russes RD-93 ou chinois WS-13.
La solution idéale, alors ? Sauf que le plus moderne des appareils chinois en dotation, le chasseur-bombardiers de 4ème++ génération, le J-10 Vertueux Dragon, déjà déployés à plus de 150 exemplaires sur le continent, ressemble assez furieusement au défunt Lavi15… israélien !
On a, en effet, souvent présenté le J-10 (Jian 10 ou Jianji-10 pour chasseur) appareil multirôle de la firme Chengdu Aircraft Corp., comme la copie conforme du Lavi. Cela est vrai et faux à la fois. C’est en 1985 que le projet du J-10 a débuté, ce à la demande des forces aériennes de l’Armée populaire de libération (PLAAF) qui cherchaient à bénéficier d’un chasseur de nouvelle génération en complément des appareils de 4ème génération soviétiques (Su-27 et Su-30MK) que Beijing commençait à recevoir.
Octobre 1986. L’APL et le gouvernement chinois approuvent le programme sous le nom de code Project 8610 et baptisent l’appareil J-10 Vertueux Dragon. Song Wen-Cong est placé à la tête du développement du J-10. Mais ça n’est qu’en 1987 que le programme aurait bénéficié de l’apport des technologies du IAI Lavi. De plus, certaines sources accusent le Pakistan d’avoir « prêté » (sic) un F-16 au bureau d’étude de Chengdu.
À noter que, stricto sensu, le J-10 Vertueux Dragon est un appareil à voilure delta équipé de plans canards au design hérité du Chengdu J-9 (programme dans lequel les Israéliens n’ont pris aucune part). Avec une entrée d’air en position centrale, une dérive unique et ses épaisses barres anti-roulis, les emprunts à l’architecture du Lavi sont toutefois réelles. Mais, en fait, l’appareil a connu depuis son développement initial trois configurations différentes. Or, si la première colle bien au Lavi, avec son entrée d’air caractérisée par une souris centrale (façon Mirage 2000), la seconde configuration le fait davantage ressembler au Typhon (Eurofighter d’EADS). Depuis est apparue une nouvelle version du J-10, avec une entrée d’air entièrement redessinée…
Présenté comme un chasseur de 4ème++ génération, les performances du J-10 pourraient le classer au-dessus des derniers F-16C/D, avec une maniabilité supérieure à celle du F/A-18E/F Super Hornet et du Typhoon. Mais les Irakiens se risqueraient-il à commander un appareil inspiré d’un design israélien ! Plus encore, l’Occident laisserait-il l’Irak accéder à une telle machine ? Probablement pas…
Dernier espoir pour Bagdad en vue d’échapper à cette israélisation rampante de ses ailes semblant lui donner le tournis : la France ! Une vieille histoire, en fait. En décembre 2010, l’agence irakienne indépendante Aswat al-Iraq faisait part de l’intérêt de Bagdad pour le Mirage 2000 ! Pas de bol pour les malheureux pilotes irakiens, Dassault a arrêté la chaîne de construction de ce magnifique appareil, dans lequel aucune main israélienne n’a traîné (enfin, on le suppose !)…
D’où l’offre française portant sur 18 Mirage F1 – monture que les plus âgés des pilotes irakiens16 connaissent bien puisque Saddam Hussein en avait commandés 129 exemplaires – qui, dixit l’ambassadeur de France à Bagad, Boris Boillon, ne devrait pas excéder le milliard de dollars. Un « prix modeste » qui « n’obèrera pas la capacité financière de Bagdad d’acheter des F16 américains » et une «  vente » qui « s’inscrit dans le cadre d’une proposition sur un plan global militaire aérien que la France a soumis à ce pays ».
Depuis, rien n’a bougé. Même si les Mirage F-1CT concernés sont toujours disponibles n’ayant pas trouvé acquéreur, malgré un ambitieux programme de remise à niveau (retrofit). Faudra-t-il pour aboutir à vendre (enfin) des avions de combat made in France assurer ces messieurs de Bagdad de l’absence du plus petit composants made in Israël ? Mystère et boules de gomme, nul ne le sait…
Par Jacques Borde – JSSNews

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