mercredi 12 septembre 2012

L’espion qui aimait la pub


GOLDEN BOY
 
L’espion qui aimait la pub 
Dans son prochain film, “Skyfall”, James Bond 
téléphonera avec le dernier modèle de Sony

MARKETING – Tous aux abris, l’homme sandwich le plus classe du monde revient à grands pas. Programmée le 26 octobre, la sortie du 23ème épisode de James Bond -baptisé Skyfall- promet une nouvelle fois d’inonder de produits les grands écrans, tant la série produite par la famille Broccoli s’en est fait une spécialité depuis de nombreuses années.
Sony en profitera pour faire découvrir son nouveau téléphone, Xperiacomme l’entreprise l’a annoncée lors de cette dernière semaine d’août. Rien de plus facile pour la marque japonaise, qui n’est autre que la maison mère du studio MGM, producteur de la franchise. Ainsi, depuis 2005 et son rachat, on voit fleurir de nombreux produits électroniques estampillés Sony, allant des téléviseurs aux appareils photos, en passant par les ordinateurs Vaio. Déjà, dans Quantum of Solace, James Bond utilisait le Sony Ericsson C902.
Mais le plus célèbre des agents au service secret de sa Majesté ne se contente pas de faire plaisir à Sony. Il démarche tous azimuts pour intégrer des marques dans ses films. Un marché juteux, puisqu’il rapporte à chaque opus une centaine de millions de dollars aux Studios, qui réinvestissent intégralement ces recettes dans le budget promotion du film. De la pub pour se payer de la pub en somme…
007, c’est d’abord le trio Bollinger-Omega-Aston Martin
Plus traditionnellement, chaque épisode James Bond fonctionne de paire avec le couple champagne-montre-voiture. La maison de champagne Bollinger y tient une place remarquée depuis 1973 et Vivre ou laisser mourir, avec Roger Moore dans le rôle de l’agent 007. Et la marque y tient presque un rôle principal. En 2002, dansMeurs un autre jour, Pierce Brosnan réclame une bouteille de Bollinger après avoir été libéré d’une prison nord-coréenne. Ah, le fameux flegme britannique…
La montre apparaissant au poignet de James Bond est quant à elle dévolue à l’horloger suisse Omega (groupe Swatch) depuis 1995 et la sortie de GoldenEye. Auparavant, c’est Rolex qui l’accompagnait dans ses aventures, plus conformément aux détails donnés par Ian Flemming dans ses romans.
Pour les voitures du héros, la sélection est très disputée. Traditionnellement au volant d’une Aston Martin depuis Goldfinger (1964), l’espion britannique a “commis” quelques infidélités à la marque en s’essayant tour à tour à des Bentley, Ford, Lotus, Toyota voire même Renault et Citroën ! Rappelez-vous la 2CV de Rien que pour vos yeux (1981)… La plus grosse entorse à la célèbre Aston Martin DB5 (voir ci-dessous) fut le mariage avec BMW qui dura le temps de trois films (1995-1999), vite réparée avec le retour de la marque symbole dans Meurs un autre jour (2002).
astonmartindb5goldfinger



Voilà pour les marques principales qui sont aujourd’hui inséparables de la franchise. Mais c’est seulement la partie émergée de l’iceberg. D’autres bénéficient d’un statut de partenaire, afin d’utiliser le personnage de James Bond sur leurs produits. Ainsi, elles s’engagent à investir dans la promotion du film, souvent dans des opérations de marketing sur leurs points de vente. Parfois sans même apparaître directement dans le film.
Ce dispositif permet de démultiplier les efforts des distributeurs du film, de toucher d’autres publics. Ford, Phillips, Gillette, Coca-Cola, Yves Saint-Laurent, Tom Ford, Perrier, l’historique vodka Smirnoff ou encore la compagnie aérienne Virgin Atlantic font parties de ceux-là.
Dans Goldeneye, on se souvient de cette course-poursuite d’anthologie dans laquelle Pierce Brosnan conduit un char russe et qui se termine avec l’explosion d’un camion remplit de bouteilles Perrier (voir la vidéo, à 3’30″):
160 millions de dollars pour Meurs un autre jour (2002)
Les marques qui jouent le jeu à fond -comprenez qui signent le plus gros chèque- se retrouvent ainsi étroitement associées à l’univers de James Bond, très valorisant pour elles. Dans Demain ne meurt jamais (1997), BMW apparait par exemple pendant 17 minutes, soit 15% du film. Dans Skyfall (2012) une Heineken aura l’honneur d’être réclamée au moins une fois par Daniel Craig…
Pour Meurs un autre jour (2002), le total des contributions des partenaires associés s’est élevé entre 120 et 160 millions de dollars, un record, et tout cela pour alimenter le seul budget promotionnel du film. Ce dernier opus avec Pierce Brosnan est le plus “kiss kiss bling bling” de la série, ce qui obligea EON productions (propriété de famille Broccoli) à alléger les deux derniers épisodes (tout de même 100 millions de dollars de pub associée). Seule une petite dizaine de placements produits apparaissent dansCasino Royale (2006) et Quantum of Solace (2008). Comptez en moyenne un chèque de 10 millions de dollars de la part de chacun.
En France, on est encore loin de ce business lucratif. Selon l’Express, le coût d’un placement produit dans un film français oscille entre 3000 à 200.000 euros.
Quel intérêt donc pour ces marques, qui ne peuvent absolument pas mesurer leur retour sur investissement ? La franchise James Bond prétend toucher 10% du globe et incarne une certaine idée du luxe. S’associer avec l’agent 007 permet donc de grapiller quelques miettes de l’aura bondienne… A être exceptionnel, marques d’exception pourra-t-on dire, mais n’existe-t-il pas un risque de dénaturer le personnage original ? Pas si sûr… Déjà dans ses romans, Ian Flemming utilisait largement le “name dropping”, en se servant de noms de marques: Bentley, Dunhill, Dom Pérignon, Leica, Turnbull & Asser, Morland Specials…
Au risque de dénaturer James Bond?
Après tout, que l’agent double zéro téléphone avec un mobile plutôt qu’un autre n’influencera pas les choix du réalisateur ni ne gâchera le plaisir du public. Sauf que le placement de produits va bien au-delà. British Ariways, par exemple, présent dans un James Bond, pose ses exigences: pas de films “comportant une crise aérienne (crash ou prise d’otages par exemple), contenant des éléments de violence traumatique, contenant des sujets politiques sensibles ou controversés, ou ayant un impact négatif sur notre marque”. De là à couper une petite scène qui empêcherait d’obtenir des sponsors… on nous accordera le permis d’en douter.
Les réalisateurs commencent d’ailleurs à craindre pour leur indépendance artistique, comme le montre une étude réalisée en 2011. L’un d’eux, Philippe Lioret, témoigne: “Quand je vois les films de James Bond, je trouve ça ridicule, ce sont des vitrines animées, ça n‟a rien à voir avec le cinéma, enfin avec l’idée que je m’en fais en tout cas”. D’autres trouvent en revanche qu’il s’agit d’une façon plutôt intelligente de boucler un budget…
A condition, bien sûr, de ne pas aller trop loin. L’opus “Meurs un autre jour” (Die another day en anglais) avait été ironiquement rebaptisé Buy another day (Achète un autre jour)
L’exception reste, comme toujours, Apple: non seulement la firme à la pomme refuse catégoriquement de payer le moindre dollar pour apparaître dans un film mais ils ne donnent jamais les produits. A la rigueur, ils peuvent les prêter pour le tournage d’une scène. Il faut croire que l’image de leur marque est supérieure à celle du film…

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