vendredi 29 juin 2012

Pour saluer Robert Sabatier

Pour saluer Robert Sabatier:
La gentillesse ne se porte pas bien dans le milieu littéraire. Elle fait mauvais effet ; on se demande toujours quel vice elle cache. La gentillesse, la bienveillance, l’empathie. Dire que c’étaient les premières qualités qui frappaient lorsqu’on faisait la connaissance de Robert Sabatier ne lui aurait peut-être pas rendu service dans ce milieu-là mais rend hommage à l’homme qu’il fut. Un détail l’illustre : il détenait le record de France de participation à des jurys littéraires. Il siégeait dans une vingtaine de jurys au moins ! Non par goût des prébendes, de l’influence ou des jetons de présence mais parce qu’il y voyait un moyen efficace d’aider des écrivains méconnus qui méritaient un coup de pouce. Et parce qu’il ne se sentait pas le cœur de décliner la demande d’un obscur club de poètes du fin fond du Berry que sa présence et sa signature honoraient.
Voilà l’homme que je reconnais à défaut de vraiment connaître depuis une trentaine d’années et que je n’aurais même pas pu croiser à l’Académie Goncourt (il occupait le 4ème  couvert d’André Billy depuis 1971) où je me faisais une joie de m’asseoir en face de lui. Peu avant mon arrivée et celle de Philippe Claudel, il avait glissé dans sa salle de bains une veille de week-end, s’était cassé la clavicule et il était resté longtemps immobilisé ainsi dans un semi-coma. Mais sa capacité de résistance était telle, sa volonté de toujours vouloir « en être » si forte, qu’il s’en sortit. Jusqu’à la rechute fatale aujourd’hui à 88 ans.
Un authentique écrivain populaire, dans la plus noble acception du terme, s’abritait derrière sa bonhommie profonde et spirituelle, ses rondeurs, son goût de la bonne chair, son éternelle pipe entre les dents et son angoisse. Ou plus exactement : un romancier. Car il n’aimait rien tant que raconter, pas seulement en écrivant mais en causant. On imagine difficilement aujourd’hui le succès considérable, en France et dans de nombreux pays, que connut la saga autobiographique du « Roman d’Olivier » (prénom choisi en hommage à Dickens) avec Les Allumettes suédoises, Trois sucettes à la menthe et Les Noisettes sauvages au début des années 70, succès baignant dans l’atmosphère de Montmartre, du canal Saint-Martin et de l’Auvergne, dont venaient les siens, qui ne se renouvela pas dans les mêmes proportions avec les cinq volumes suivants. Il ne s’en tenait pas rigueur, ni même à son public, étant parfaitement au fait des mystères de la librairie pour avoir longtemps œuvré comme éditeur au PUF puis chez Albin Michel, « sa » maison et sa famille, après avoir fait ses débuts dans la vie active comme typographe. Toutes choses qui n’avaient en rien entamé sa fidélité à son enfance et son adolescence à la Butte. Un état d’esprit, une manière d’être au monde (comme il n’aurait certainement pas dit !). On en trouve la trace dans Les années secrètes de la vie d’un homme, un récit philosophique qui tranche avec sa manière habituelle.
On pourrait faire une anthologie de ses citations (ici un échantillon) du genre : « Un best-seller est généralement un méchant livre dont la vente permet à l'éditeur de publier d'autres livres tout aussi mauvais mais qui ne se vendent pas" car il n’était jamais avare d’un bon mot ou d’une anecdote. Mais c’est avant tout en poésie qu’il voulut vivre, de ses tout débuts à sa toute fin. Non seulement en poète et ami des poètes mais en anthologiste et mémorialiste de la poésie, allant jusqu’à consacrer toute son énergie à l’élaboration en solitaire d’une histoire de la poésie en une dizaine de volumes. Tout cela fit une œuvre et une vie bien remplies, qui n’eurent guère les faveurs de la critique, comme quoi on survit bien et longtemps à cette légère disgrâce. En compensation, il fut l’un des plus fidèles sociétaires des Grosses têtes sur RTL comme on est sociétaire du Français. De toute façon, il n’était pas du genre à se plaindre.
Il venait juste de mettre la dernière main à ses Mémoires. Son village de Saugues (Haute-Loire) a donné son nom à la bibliothèque municipale. Ce qui n’est pas rien. Il avait l’âme d’un vrai et bon compagnon. De ceux qui ne se prennent pas au sérieux. Une belle personne. Chez Drouant, il va nous manquer.
("On the road to Brive-la-Gaillarde" Photo Passou)

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