vendredi 29 juin 2012

Pour François Hollande, changez à « Franklin Roosevelt »

Pour François Hollande, changez à « Franklin Roosevelt »:
Régle No1 : toujours se méfier de l’éditeur qui s’abrite derrière le rideau des coïncidences. Régle No2 : le créditer à juste titre de son flair. Régle No3 : se garder de surinterpréter les signes. N’empêche que si le président Hollande devait prochainement passer pour un nouveau Roosevelt, cela ne relèverait pas du hasard mais d’un sens déjà éprouvé de la communication politique. Et comme (presque) toutes choses en France, cela passe (d’une manière ou d’une autre) par des livres et des intellectuels. La mise sur orbite s’est effectuée en toute discrétion à l’automne dernier. On apprit que les biographies historiques et les essais politiques constituaient l’essentiel des lectures du Hollandais volant durant ses déplacements. Du moins pendant la campagne des primaires socialistes : « Pour les présidentielles, vu le rythme, il n’a pas vraiment eu le temps de lire Guerre et paix ! » reconnaît Laurent Binet qui l’a suivi comme son ombre. Il avait  lu une vie du président Roosevelt. Probablement pas le livre de Georges Boris, conseiller de Léon Blum puis de Mendès France, sur La Révolution Roosevelt car on ne sache pas qu’il ait été réédité par Gallimard depuis 1934. Plutôt une biographie et non un traité d’économie sur le New Deal, son fameux programme de relance de l’économie et de lutte contre le chômage. Or qu’a confié Barack Obama au lendemain de son élection ? Qu’il était en train de lire la biographie de Jean Edward Smith sur les cent premier jours de Roosevelt à la Maison Blanche. Le plus intéressant est que pour se référer au New Deal, l’un et l’autre ne se soient pas tournés vers des essais d’histoire économique mais vers des récits de vies. Comme si l’homme était plus exemplaire que sa politique, et que le chemin suivi par le président américain, réélu de 1932 à  1944 , pour imposer sa nouvelle donne importait davantage que les théories.
En mars, une phrase d’Emmanuel Todd servait de titre à l’interview que l’essayiste accorda à L’Expansion : « François Hollande peut devenir le Roosevelt français ». En avril, on assista au lancement de « Roosevelt 2012 » sous le parrainage de Stéphane Hessel, Edgar Morin, Michel Rocard et de Curtis Roosevelt, petit-fils de. Ce collectif de citoyens engagés dans l’action proposait 15 réformes pour changer la donne, et dompter les marchés au lieu de les  rassurer. En mai, en dressant le tableau des analogies entre les deux hommes, l’économiste Thomas Piketty s’interrogeait dans une tribune de Libération : « François Hollande va-t-il devenir l’équivalent d’un Roosevelt pour l’Europe ? » En juin, Valérie Twitweiler, compagne du chef de l’Etat, publiait dans Paris-Match son premier article depuis les élections : une longue critique argumentée de la biographie de Eleanor Roosevelt. First lady et rebelle par Claude-Catherine Kiejman, qui vient de paraître chez Taillandier. Le fait est que la femme de FDR était journaliste, féministe, émancipée, engagée et qu’elle avait, elle aussi, du caractère. Il ne fallait pas être Lacan pour y lire, même pas entre les lignes, en clair et non codé, une projection, un autoportrait et une feuille de route. Encore que l’identification n’est pas sans danger quand on sait les zones d’ombre de la vie privée d’Eleonor. En principe, à la suite d’un tel article, tout rédacteur en chef devrait proposer à son auteur une chronique quotidienne sur « Ma journée » relatant sa vie à l’Elysée et ne s’interdisant aucun sujet, exactement comme le fit Eleonor Roosevelt ce qui ajouta encore à sa popularité. L’élection de Barack Obama a fait vendre des biographies de Roosevelt et de Lincoln, son grand modèle avoué lorsqu’il faisait campagne. Les éditons Edhasa purent se féliciter de l’efficacité du premier ministre Felipe Gonzalez, lequel fit vendre la traduction espagnole des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar qui venait de reparaître, en avouant qu’elle ne quittait pas son chevet. Quant à Maupassant, on imagine mal qu’il doive quelque chose de sa fortune à Giscard d’Estaing. Non plus que la gloire française du Dit du Genji à Jacques Chirac. Et on ne se souvient pas que la photo du président Mitterrand plongé en avion dans En lisant en écrivant de Julien Gracq ait bouleversé le chiffre d’affaires des éditions José Corti.
Le 14 juin, Tempus a réédité la biographie de référence de Roosevelt en français que l’universitaire André Kaspi avait publié pour la première fois chez Fayard en… 1988 (mieux vaut tard, en effet). Mais comment ne pas remarquer que Tempus est le département « Poche » de Perrin qui a publié au début de l’année le Rapport Beveridge (1942) (mieux vaut très tard, en effet !), texte fondateur sur l’Etat-providence et la protection sociale, orné d’une substantielle préface de François Hollande. Toutes choses dont l’éditeur Benoît Yvert jure ses grands dieux qu’elles relèvent de « coïncidences ». Appelons cela une bonne anticipation de l’air du temps et réjouissons-nous des lectures d’un candidat dont on voulut faire, il y a quelques mois encore, l’héritier de pépé Queuille.
("Raymond Depardon présidentialisant François Hollande" photo Magnum; "Franklin D. Roosevelt" photo D.R.)

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