INSÉCURITÉ - La cité phocéenne est-elle assiégée? Ce n'est pas l'avis du ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, qui s'est opposé ce jeudi 30 août à ce que l'armée intervienne dans les quartiers nord de Marseille, comme le réclame avec insistance la sénatrice-maire PS des 15e et 16e arrondissements, Samia Ghali. Jean-Marc Ayrault et François Hollande lui-même ont confirmé dans l'après-midi le point de vue de leur ministre.
Dans un entretien publié ce jeudi dans La Provence, au lendemain d'un règlement de compte mortel à la kalachnikov ayant fait un mort sur fond de trafic de drogues, la sénatrice réclame que certains quartiers de la métropole soient désormais placés sous le contrôle des militaires. "Aujourd'hui, face aux engins de guerre utilisés par les réseaux, il n'y a que l'armée qui puisse intervenir. Pour désarmer les dealers d'abord. Et puis pour bloquer l'accès des quartiers aux clients, comme en temps de guerre, avec des barrages. Même si cela doit durer un an ou deux, il faut tenir", martèle l'élue socialiste.
Une requête qui n'est pas une première dans l'histoire mouvementée des quartiers difficiles de l'Hexagone mais qui n'a jamais été exaucée, faute de volonté politique. "Il est hors de question que l'armée puisse répondre à ces drames et à ces crimes. Il n'y a pas d'ennemi intérieur" à Marseille, a ainsi assuré devant la presse Manuel Valls, qui a prôné "une réponse globale, en profondeur et particulièrement forte" à la criminalité. "Le concours de l'armée n'est en aucun cas envisagé dans le maintien de l'ordre public à Marseille", a confirmé de son côté Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense.
14 morts dans des règlements de compte
"Je comprends l'appel au secours des élus de cette ville", qui "a été d'une certaine manière laissée à l'abandon", a néanmoins concédé le ministre de l'Intérieur, rappelant au passage que les quartiers nord de Marseille figurent d'ores et déjà parmi les quinze premières zones de sécurité prioritaires (ZSP), qui doivent progressivement entrer en vigueur en septembre.
"L'action conjointe de la police et de la justice (...) doit répondre précisément à cette montée d'une nouvelle délinquance, d'une violence d'individus qui se servent d'armes de guerre", a-t-il ajouté. Mais "cette action nécessite aussi du temps, de la profondeur", a-t-il poursuivi. "Rien ne serait pire, comme cela a été fait trop souvent dans le passé, de répondre de manière instantanée et au fond de passer à côté de l'essentiel", a souligné M. Valls, réaffirmant que "l'armée n'a pas sa place dans ces quartiers".
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Dans le même temps, Matignon a annoncé que Jean-Marc Ayrault présiderait le 6 septembre prochain un comité interministériel consacré à l'élaboration d'un "programme d'action pour l'agglomération marseillaise". Les services du Premier ministre ont fait valoir que le gouvernement avait engagé un travail sur la situation de Marseille "en juillet avec plusieurs réunions interministérielles". Une manière de laisser entendre que la fusillade la veille dans la cité phocéenne n'était pas l'élément déclencheur de ce comité interministériel.
Jean-Marc Ayrault a justifié sa décision en invoquant la nécessité de "montrer la détermination du gouvernement à ne pas laisser les choses dériver" dans cette ville. "L'armée n'a pas sa place pour contrôler les quartiers", a estimé pour sa part le président de la République, François Hollande, en déplacement en Espagne.
La situation sécuritaire ne cesse pourtant de se dégrader à Marseille, où certains quartiers sont gangrenés par les trafics de drogue et les violences qui s'y rattachent. La mort du jeune homme abattu à l'arme de guerre mercredi soir, alors qu'il circulait à bord d'une Clio noire, est la deuxième de ce mois d'août, après le décès samedi soir à l'hôpital d'un jeune homme âgé de 25 ans, Benamar Hamidi, grièvement blessé par balles dans les quartiers sud. En mai dernier, un homme avait été abattu dans des circonstances similaires. La sénatrice Samia Ghali avait déjà lancé un appel à l'aide pour mettre fin à l'insécurité à Marseille.
Il s'agit du 14e mort dans un règlement de comptes depuis le début de l'année dans la cité phocéenne et du 19e sur l'ensemble de la région.
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Faire appel à l'armée: une vieille revendication
La sénatrice de Marseille n'est en tout cas pas la première élue à appeler l'armée en renforts pour régler des problèmes d'insécurité et de trafics de drogue. En juin 2011, le maire EELV de Sevran, Stéphane Gatignon, avait réclamé au ministère de l'Intérieur une présence de l'armée "24 heures sur 24 avec une fonction de force d'interposition afin de faire cesser les règlements de compte et d'éviter les risques de balles perdues et de tragédies".
A l'époque, des élèves de primaire avaient été privés de récréation en raison des coups de feu qui s'échangeaient dans le quartier. Un sondage Ifop avait alors révélé que 57 % des Français considéraient que le recours à l’armée était "justifié" compte tenu de "l’insécurité existant dans certains quartiers sensibles".
Si le ministre de l'Intérieur de l'époque, Claude Guéant, n'avait pas donné suite à la requête du maire de Sevran, Ségolène Royal, alors candidate à la primaire socialiste, avait approuvé l'idée. Lors de la campagne présidentielle de 2007, la présidente du Poitou-Charentes avait défendu le principe d'un encadrement militaire des jeunes délinquants.
Envoyer l'armée dans les banlieues? Légalement, c'est possible. Comme le prévoit le Code de la Défense, les forces armées de troisième catégorie (forces terrestres, maritimes, aériennes) peuvent être appelées en renfort par la police civile et par les deux premières catégories des forces armées, les formations de la gendarmerie départementale et de la gendarmerie mobile.
Toutefois, précisent les textes, le recours à la force armée ne s'effectue que pour "des opérations de force nécessitant des mesures de sûreté exceptionnelles".
C'est pourquoi les gouvernements successifs de la Ve République s'y sont toujours refusés, y compris dans des contextes quasi-insurrectionnels, qu'il s'agisse des émeutes en banlieue de 2005 ou des manifestations de mai 68. Seule la guerre d'Algérie avait entraîné l'envoi de troupes.
Des barrages à Marseille?
La sénatrice socialiste Samia Ghali a donc bien peu de chance de voir venir l'armée sécuriser les quartiers nord de Marseille, chacun sur place estime que la situation exige des mesures drastiques.
Le député PS Patrick Mennucci a dit approuver l'idée d'un "contrôle des entrées" dans plusieurs cités, pour "bloquer la route aux acheteurs qui se rendent en voiture sur les spots de vente de stupéfiants". "Si les forces de police ne suffisent pas, on peut faire appel à l'armée, sans substituer toutefois l'armée à la police", estime-t-il.
Mais le délégué zonal adjoint du syndicat de policiers Alliance, David-Olivier Reverdy, ne cache pas son scepticisme. "La France n'est pas en guerre", ironise-t-il. "Chacun son métier! Qu'on nous donne plutôt les moyens de lutter contre les trafics souterrains", ajoute le syndicaliste, s'étonnant "qu'on veuille remplacer les policiers, auxquels on refuse la présomption de légitime défense, par des militaires à l'usage des armes beaucoup plus souple".
Le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, ne veut en tout cas pas entendre parler d'intervention militaire. "Mobiliser l'armée face au grand banditisme n'est en aucun cas une solution. En revanche, la population de ces cités le vivrait comme un véritable appel à la guerre civile ! La seule réponse cohérente est de déployer, dans les plus brefs délais, de nouveaux moyens policiers, formés à gérer ce genre de conflits sur le terrain", estime l'édile.
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La rédaction