Par David P. Goldman Asia Times |
Elles étaient déjà mourantes avant que la guerre civile syrienne n’éclate et bien avant que les Frères Musulmans ne prennent le pouvoir au Caire. La Syrie subit une guerre civile insoluble et l’Egypte, une crise toute aussi insoluble, simplement, parce qu’elles sont en train de mourir. Elles sont en train de mourir, parce qu’elles ont choisi de ne pas faire ce que la Chine a entrepris : déplacer la majeure partie d’un milliard de personnes vivant dans l’arrière-pays rural vers une économie moderne des villes, en l’espace d’une génération. Le Mexique serait mort de la même façon, s’il n’avait pas eu l’option d’envoyer le peuple des campagnes paupérisées – un cinquième de sa population – vers les Etats-Unis.
Il était évident, pour quiconque voulait bien se donner la peine d’examiner les données factuelles, que l’Egypte ne pourrait pas continuer de creuser un puits sans fond dans sa balance des paiements, créé par une dépendance de 50% pour l’importation de ses produits alimentaires, sans parler d’une facture énergétique dopée par les subventions, qui consomment un quart du budget national. Il était criant, pour les analystes israéliens, que la tentative tardive du régime syrien, de moderniser son secteur agricole, finirait par générer une crise provoquant le déplacement de centaines de milliers de fermiers, qui viennent s’aglutiner dans les taudis surpeuplés des faubourgs des grandes villes. Ces faits étaient déjà bien en évidence, en 2011, quand Hosni Mubarak est tombé et que la rebellion syrienne a éclaté. Paul Rivlin, du Centre Moshé Dayan, en Israël, a publié un portrait dévastateur de l’échec économique de la Syrie, en avril 2011.
Parfois, des pays s’enfoncent eux-mêmes dans un trou duquel ils ne parviennent plus à s’extirper. Les dictateurs du Tiers-Monde ont une tendance caractéristique à maintenir leur population rurale dans la pauvreté, l’isolement et l’analphabétisme, qui leur semblent une situation idéale pour garder le contrôle. C’était la politique du Parti Institutionnel Révolutionnaire, au Mexique, depuis les années 1930 qui parquait les paysans pauvres dans des fermes collectives de type stalinien, appelées ejidos, et qui occupaient la majeure partie du territoire national. C’était aussi l’intention des dictatures nationalistes arabes, en Egypte et en Syrie. Cette politique a marché jusqu’à n’en plus pouvoir. Au Mexique, cela a cessé de fonctionner durant la crise de la dette, au début des années 1980, et les Mexicains pauvres sont devenus le problème de l’Amérique. En Egypte et en Syrie, cela a duré jusqu’en 2011. Il n’y a plus nulle part où aller, pour les Egyptiens et les Syriens.
Cela ne coûte pas cher de soulager les consciences occidentales en envoyant quelques surplus d’armes aux Sunnites syriens. Personne n’a proposé de trouver une autre solution que de dépenser les plus de 20 milliards de $ par an que l’Egypte réclame pour garder la tête hors de l’eau. En juin 2011, le Président français du moment, Nicolas Sarkozy, avait évoqué un programme de soutien du groupe de 8 (G8) de cet ordre de grandeur. Aucun gouvernement occidental (ni Etat du Golfe), cela dit, ne veut engloutir une telle somme d’argent dans le gouffre égyptien.
L’Egypte demeure une société prémoderne, avec un illettrisme qui culmine à près de 50%, un taux de mariages consanguins de 30%, un taux de 90% de mutilation génitale féminine, et un taux de chômage ou de sous-emploi qui dépasse les 40%. La Syrie n’a ni assez de pétrole ni d’eau pour soutenir l’économie du bazaar, dominée par la famille Assad.
Tous deux devaient s’attendre à des désastres à venir. L’économie, soyons-en sûrs, s’occupe la mise en scène, mais ce n’est pas elle qui frappe les trois coups : les Sunnites radicaux de Syrie se sont révoltés, en partie, parce que galvanisés par l’enthousiasme que suscitait la montée des Frères Musulmans en Egypte et, en partie aussi, par crainte des ambitions iraniennes, qui cherchent à favoriser l’ascendant des Chi ‘ite sur la région.
Cela a pris presque deux ans aux classes intellectuelles bavardes pour faire le point sur l’étendue du désastre économique égyptien. Thomas Friedmann, duNew York Times, l’étalon de l’opinion libérale en matière de politique étrangère, se confondait en effusion, comme un adolescent, à propos des militants férus de haute technologie du fameux Square Tahrir, au début 2011. La semaine dernière, il a visité une boulangerie du Caire et assisté au manège des Egyptiens pauvres en train de se bousculer pour un peu de pain subventionné par l’Etat. Certains ont dû rester sur leur faim. Alors que la malnutrition afflige plus d’un quart de la population égyptienne, selon l’estimation de l’Organisation Mondiale de la Santé, et que le gouvernement des Frères Musulmans attend une récolte de blé qui n’arrive jamais, l’Egypte meurt de mort lente. Les prêts d’urgence de la part du Qatar et de Libye ont ralenti la progression de la gangrène nationale, mais ne l’ont pas arrêtée.
Ce contexte général confère un air de parfaite absurdité à l’actuel débat pour savoir si l’Occident devrait armer les rebelles sunnites syriens. Les faucons américains, comme les Sénateurs John Mc Cain et Lindsey Graham, c’est sûr, plaident pour l’envoi d’armes aux Sunnites, parce qu’ils pensent que ce serait mal avisé, sur le plan politique, de proposer une attaque contre le maître du régime Assad, à savoir l’Iran. L’Administration Obama s’est accordée sur le fait d’armer les Sunnites, parce que cela ne coûte rien de tout faire pour se prémunir contre la critique venue des rangs républicains. Nous sommes face à une répétition du consensus de "la cloche et l’idiot " qui prévalait au début de 2011, lorsque les faucons Républicains appelaient à une intervention en Libye et que l’Administration Obama s’est sentie forcée d’y consentir.
Même si les Sunnites pouvaient écarter la famille Assad de Damas et instaurer un nouveau gouvernement –ce dont je doute- le meilleur scénario possible déboucherait sur une nouvelle Egypte : un gouvernement des Frères Musulmans présidant une économie en voie d’effondrement et glissant inévitablement vers un Etat en faillite. C’est trop tard, même pour ce type d’arrangement. Maintenir l’équilibre des forces entre les deux camps ne fera qu’augmenter le nombre de victimes. La seule chose à peu près humaine à faire est de répartir le pays sur le modèle yougoslave, mais cela ne semble pas faire partie de l’agenda d’aucun gouvernement impliqué.
David P. Goldman est chercheur associé au Middle East Forum, et l’auteur de :How Civilizations Die (and Why Islam Is Dying, Too) [Comment meurent les Civilisations (Et pourquoi l’Islam meurt aussi) et de la collection d’essais : It's Not the End of the World, It's Just the End of You(Ce n’est pas la fin du monde, ce n’est que votre proper fin).
Adaptation : Marc Brzustowski.
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La rédaction