La Franc-maçonnerie reste ambiguë dans l’esprit des gens. Elle est synonyme d’intrigues, de société secrète, de manipulation de coulisses et de complot pour tout dire. Combattue et dénoncée, elle ne cesse d’attirer des questions sur ses origines, ses ramifications dans nos sociétés et surtout les buts qu’elle poursuit. Nous avons interrogé un historien spécialiste sur la question pour nous éclairer sur la Franc-maçonnerie en général et son prolongement en Tunisie en particulier.
Adel Ben Youssef est historien-chercheur en histoire contemporaine à la Faculté des Lettres de Sousse. Auteur d’une thèse de doctorat intitulée : «L’élite tunisienne moderne : le cas des étudiants tunisiens de l’Université française 1880-1956» (en langue arabe), avril 2000. Membre d’une unité de recherche «Histoire économique et sociale de la Tunisie». Auteur de plusieurs études et publications dans des revues paraissant en Tunisie et à l’étranger sur les thèmes suivants : les élites tunisiennes, l’enseignement moderne, les associations culturelles et le Mouvement national en Tunisie durant l’époque coloniale (en langues arabe et française), Adel ben Youssef se penche depuis quelques années sur l’étude de la Franc- maçonnerie et des sociétés secrètes en Tunisie sous le Protectorat français et prépare actuellement un ouvrage sur ce thème combien d’actualité. Interview.
Qu’est-ce que la Franc- maçonnerie?
D’après Larousse, «La franc-maçonnerie est une association, en partie secrète, de personnes qui professent des principes de fraternité, se reconnaissent entre elles à des signes et à des emblèmes, se divisent en groupes appelés Loges». La Franc-maçonnerie a été aussi définie par l’assemblée des grands maîtres européens en 1952 comme «une institution d’initiation spirituelle au moyen de symboles». L’article 1 des constitutions de la Grande Loge de France l’a définie comme «un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité». Elle a pour but le perfectionnement de l’homme et de l’humanité. Ses membres se recrutent par cooptation selon des rites initiatiques. Elle se fixe pour but de réunir en son sein les «hommes libres et de bonnes mœurs», qui veulent travailler à l’amélioration matérielle et morale ainsi qu’au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Elle se veut universelle : les vicissitudes de son histoire l’ont pourtant divisée en de multiples obédiences. La discrétion dont elle entoure ses activités et qu’elle impose à ses membres n’en fait pas, pour autant, une société secrète : elle se manifeste souvent publiquement et ses «secrets» ont été depuis longtemps dévoilés au monde profane par d’innombrables ouvrages. L’existence de la secte remonte au temps de Salomon selon certains, et au temps des Pharaons selon d’autres.
Que peut-on dire brièvement de son histoire ?
La première loge maçonnique, «La Grande Loge de Londres», est apparue en Angleterre dès 1717. Dès lors, des loges ont commencé à prendre naissance en Europe et dans le monde. En France, la Franc-maçonnerie fut introduite entre 1725-1726 et se développa rapidement. En 1740, on comptait une dizaine de loges à Paris et une quinzaine en province. En 1789, le Grand Orient de France en contrôlait 60 à Paris, 448 en province, 40 dans les colonies, 19 à l’étranger et 68 dans l’armée royale, regroupant quelque 70.000 membres. Les loges parisiennes prennent part à la Révolution française de l’ancien régime. Le mot maçonnerie (de maçon : bâtisseur) est lié à la construction du Temple de Salomon. Bien que la secte regroupe des membres de tous bords, ses fondateurs ainsi que ses hauts dirigeants sont d’origine exclusivement juive.
En apparence, l’organisation affiche des objectifs humanitaires visant à cultiver l’amour entre les hommes, à la recherche de la paix, du bien et du progrès de l’humanité. La fameuse devise de la République Française “liberté, égalité, fraternité”— est d’origine maçonnique. Cet idéal philanthropique lui a permis d’étendre son influence partout dans le monde et de gagner la sympathie d’un nombre considérable de hautes personnalités notamment en Occident.
Mais certains lui im****nt des visées machiavéliques
C’est vrai. Certains estiment que le but véritable de la Franc-maçonnerie serait de préparer l’avènement du gouvernement juif pour diriger le monde, lequel, selon les enseignements du Talmud, interviendrait en temps de crises et de déliquescences généralisées. Dans le souci de contribuer à la création des conditions de cet évènement, la secte s’emploie à détruire la religion et la morale. D’où l’anarchisme, le communisme, la laïcité, bref, tous ces systèmes et ces doctrines immoraux et libertaires inventés par des Juifs franc- maçons.
L’organisation comporte trois structures (ou niveaux) superposées, le 1er : la franc-maçonnerie symbolique, le 2ème : le Pacte royal et le 3ème : la Franc-maçonnerie universelle.
Chaque structure comprend 33 échelons, chaque échelon correspond à un grade déterminé. Pour passer d’une structure à l’autre, le membre doit gravir les 33 échelons. Une pyramide surmontée d’un oeil au sommet symbolise le temple en voie de construction. L’organisation est soumise à une discipline de fer, fondée sur le respect de la hiérarchie et des règles de conduite, et ce dans le secret le plus absolu. Tout manquement peut entraîner la mort du présumé coupable. La promotion d’un échelon à l’autre est fonction de l’engagement du membre et des services qu’il a rendus à la secte. Ses réunions sont secrètes, elles se tiennent généralement de nuit et dans des lieux placés sous haute surveillance. Les membres de la secte utilisent un langage particulier formé de mots de passe, de signes et de symboles incompréhensibles aux profanes.
Ses activités sont particulièrement axées sur la défense de la laïcité, des droits politiques et culturels des minorités, de la liberté de la femme... Des actions sont énergiquement menées pour l’instauration de l’égalité entre les hommes et les femmes
J’ai personnellement découvert ce monde par coïncidence. En interviewant un des anciens étudiants de l’Université française durant les années 1990, ce dernier m’a informé sur les rencontres secrètes entre Bourguiba et Mendès France en juillet 1954 (sur lesquelles nous reviendrons) qui avaient lieu dans la maison d’un Tunisien franc-maçon, le docteur Ahmed Somïa. Dès lors, je me suis intéressé à ce monde profane, secret, en vue de le dévoiler et mieux comprendre son fonctionnement et ses relations avec le monde extérieur.
Comment la Franc- maçonnerie est-elle venue en Tunisie ?
En Tunisie comme dans la plupart des pays arabes de la rive sud de la Méditerranée, la Franc-maçonnerie est le reflet des influences que subit la Régence de la part des pays européens. A l’influence livournaise en Tunisie, il convient d’ajouter l’influence marseillaise. Le docteur Louis Franck, médecin d’Etat- major, qui veilla sur la santé de Hamouda Pacha Bey en 1806, sous l’Empire, témoigne des liens que les marchands français tissèrent entre la France et la Tunisie. Ce n’est pas par hasard que la première loge tunisienne fut créée par les maçons marseillais, en 1812, relevant de l’obédience de la loge mère «La Loge Ecossaise de Marseille», au titre distinctif «Loge de Saint – Jean d’Ecosse l’Impériale, Amis Fidèles du Grand Napoléon».
Au total, entre 1812 et 1881, treize loges ont été créées dans la Tunisie précoloniale et si la Franc-maçonnerie européenne a trouvé un champ d’activité très prospère, c’est grâce à l’importance du nombre d’Européens, essentiellement les réfugiés italiens installés dans les grandes villes de la Régence depuis le début du XIXème siècle. Cette situation va sans doute favoriser davantage l’implantation de loges françaises après l’établissement du Protectorat français le 12 mai 1881 et l’adhésion de Tunisiens musulmans à ces loges.
Un article apparu sur le journal réalités http://www.realites.com.tn/
Un entretien avec l’historien Adel Ben Youssef Par Fayçal Chérif
La Franc- maçonnerie en Tunisie : Bourguiba était-il franc-maçon? 19-01-2009 13:24:00
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