Vladimir Poutine a commémoré dimanche les 200 ans de la bataille. Crédits photo : RIA NOVOSTI/REUTERS
Des milliers de fantassins et de cavaliers ont reconstitué dimanche la bataille mythique du 7 septembre 1812.
À Stoudianka, hameau paisible de Biélorussie, composé d'isbas multicolores, l'obélisque en granit trône depuis 1962, sur la rive orientale de la Berezina. Encombrée d'herbes folles, la mythique rivière de l'automne 1812, paresse dans sa gangue de terre. Vissée sur la colonne, une plaque de marbre avertit le visiteur: «C'est ici que du 26 au 28 novembre 1812 l'armée russe, sous le commandement du maréchal Koutouzov, a fini d'écraser les troupes napoléoniennes. La mémoire vit éternellement sur les exploits des peuples de Russie qui ont défendu l'honneur et l'indépendance de leur pays.»
Vladimir Tishenko, qui arpente le coin depuis des années, ne cesse de décolérer contre ce qu'il appelle une «falsification de l'histoire». «L'armée de Koutouzov n'a jamais écrasé personne», s'emporte cet ancien officier biélorusse à la retraite, devenu historien par passion, de surcroît incollable sur la retraite de Russie. Le coup de sang de Vladimir est justifié: c'est, contrairement aux idées reçues, à la suite d'une très adroite manœuvre de diversion des troupes napoléoniennes que celles-ci ont pu, il y a deux cents ans, traverser la Berezina, à hauteur de Stoudianka, là où le gué est plus étroit, échappant à un probable anéantissement. «C'est d'ailleurs un cavalier biélorusse qui a indiqué aux Français la passe de Stoudianka», précise Vladimir. Pendant que l'amiral russe Tchitchagov attendait la Grande Armée à Borissov, en aval de la rivière, les hommes du général Eblé érigeaient, sous la neige et dans un froid glacial, ces deux ponts légendaires qui allaient sauver une armée napoléonienne en déroute. Et, du coup, ôter la victoire définitive des mains d'Alexandre 1er.
De Nikita Khrouchtchev en 1962, à Vladimir Poutine aujourd'hui, le patriotisme grand-russe dicte ses lois. C'est de nouveau un «exploit» russe que le chef du Kremlin est allé, célébrer, dimanche, sur le champ de Borodino, assistant à une reconstitution de la bataille du 7 septembre 1812, prélude à la retraite de Russie et à la chute de Napoléon.
La mère des batailles
Il s'agit de la mère des batailles pour Moscou, qui l'a surnommée «guerre patriotique», en écho à la «grande guerre patriotique» de 1940-1945. Pourtant, ce jour de septembre, aucune des deux armées n'a pris l'ascendant sur l'autre. Pire, les troupes du tsar Alexandre se sont repliées, pour mieux attirer la Grande Armée dans le piège hivernal de Moscou. À l'époque, cette retraite suscita l'incompréhension de l'opinion publique russe. Désormais, l'épisode est oublié.«Notre tâche est de faire de ce bicentenaire glorieux une fête nationale qui inspirerait à notre peuple de la fierté pour le pays et les exploits de nos ancêtres», a déclaré le chef de l'administration présidentielle russe, Sergueï Ivanov. Ce proche de Vladimir Poutine a appelé les autorités du pays à faire de cet anniversaire un instrument «d'éducation patriotique de la jeunesse».
Il y a deux cents ans, Borodino, située à deux cents kilomètres à l'ouest de Moscou, tout comme le petit hameau biélorusse de Stoudianka, faisait partie d'un grand empire russe dirigé par Alexandre 1er. Mais aujourd'hui, surtout depuis leur indépendance de 1991, les Biélorusses ne goûtent plus guère les commémorations patriotiques orchestrées par le puissant voisin. Vu de la capitale, Minsk, l'affrontement contre les troupes de Napoléon est plutôt assimilé à une «guerre civile». Uni à la Pologne catholique, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le territoire biélorusse, partie intégrante du grand-duché de Lituanie, fut ensuite envahi par l'empire russe. Pour une petite partie des Biélorusses, propriétaires et nobles polonais, Napoléon, qui s'était fait le garant de l'intégrité du royaume de Pologne, fut perçu comme un sauveur.
Selon Oleg Bukhovez, chef de la chaire de politologie à l'université de Minsk, près de 30 000 hommes combattirent aux côtés de l'empereur, contre 220 000 engagés auprès d'Alexandre 1er. Cette autre partie de la population épousait les valeurs orthodoxes professées à l'Est, considérant Napoléon comme un «Antéchrist». «Alors qu'à Varsovie, l'une des premières Constitutions au monde était adoptée, en Russie, le servage restait la règle», rappelle d'un ton amer, Vladimir Tishenko. C'est pourquoi, à l'obélisque de Stoudianka érigé par l'URSS de Khrouchtchev, l'historien de la Berezina préfère l'autre statue, installée en 2003 à l'entrée du village, qui figure «un soldat européen agonisant, nu, sans uniforme et sans nationalité».
Deux fois par an, accompagné de son fils de 14 ans, Vladimir Tishenko sonde les terres de la Berezina à l'aide de son détecteur de métaux, afin d'exposer, plus tard, les vestiges de la bataille, dans le musée municipal de Borissov. Là, sur une étagère, bourrée de livres consacrés à 1812, trône un buste de l'empereur des Français. Aucun, en revanche, du maréchal Koutouzov, décrit par les historiens occidentaux comme un fainéant.
Réconcilier les mémoires
«J'éprouve énormément de respect pour Napoléon», renchérit Alexandre Kouzin, chef de l'Union publique au sein du régiment de l'infanterie de Vitebsk, l'autre grande ville de Biélorussie située à l'est du pays. Une fois par an, cet ancien colonel de l'armée biélorusse enfile son uniforme de sous-lieutenant de l'armée tsariste, avec ses longues bottes noires, sa redingote et un large bicorne. Et s'embarque sabre au clair, dans les reconstitutions de bataille dont il raffole. Pour leur part, les touristes affluent à Beschekovitchi (est du pays), où l'empereur se reposa sous un chêne (coupé depuis peu) et dans la taverne de Smorgon (nord-ouest) où il oublia son tricorne.Dans le but de réconcilier les mémoires de Minsk et de Moscou, l'Assemblée parlementaire de Russie-Biélorussie, organisa, début juillet, un voyage de la mémoire sur les traces de la Grande Armée et de l'empereur Alexandre, regroupant cent «cadets» - cinquante adolescents russes, cinquante Biélorusses - sélectionnés par leur institution. À la fin du voyage, à Polotsk (nord de la Biélorussie), sur les colonnes de la Berezina, les jeunes gens en uniforme militaire, cravate noire sur chemise blanche, déposèrent une gerbe sur le monument du soldat inconnu de la guerre de 1812. Un prêtre-figurant, en habits de l'époque, rendit hommage à la victime anonyme. L'après-midi, tous assistèrent, dans le quartier industriel de Polotsk, à la reconstitution des combats opposant les artilleurs polonais de la 17e division du maréchal Dombrowski, aux chasseurs de la 3e armée occidentale du général Langeron, un noble français autrefois engagé aux côtés de la Russie.
«Qui était Napoléon», demanda-t-on à Vitali: «Un génie militaire, un dirigeant éclairé, ou un despote sanguinaire?» - «Vous pourriez poser la même question à propos de Staline», répondit du tac au tac le jeune Russe de 14 ans. Ses camarades se sont esclaffés. Puis chaque groupe est monté dans son autocar: les Russes d'un côté, les Biélorusses de l'autre…
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La rédaction