Un membre de l'unité française "Epidote", qui forme les futurs militaires de l'armée nationale afghane (ANA), le 12 août 2012 à Kaboul (Afghanistan).
(ALEXANDER KLEIN / AFP)
AFGHANISTAN - Ils sont tombés sous des tirs "alliés". Lundi 27 août, deux soldats américains de l'Otan ont été tués par un militaire de l'Armée nationale afghane (ANA), partenaire des forces étrangères dans le conflit. Le bilan s'alourdit : depuis le début de l'année, 42 militaires de l'Otan sont morts dans ces conditions, soit 13% des victimes au sein de la Force internationale d'assistance et de sécurité (Isaf). Ces "menaces intérieures" - "green-on-blue incidents", selon l'expression américaine - n'ont jamais été si pesantes. Explications.
L'armée afghane, un élément clé de la stratégie de retrait
Pour un certain nombre d'acteurs, les Etats-Unis au premier chef, l'ANA, créée en 2002, est l'un des remèdes au bourbier afghan. Comme l'explique Serge Michailof, professeur à Sciences Po, lors d'une conférence à l'Institut de relations internationales et stratégiques en mai 2011, une partie de la reconstruction de ce pays "repose sur un pari fait par le général Petraeus [ancien commandant de l'Isaf] consistant à construire à marche forcée d'ici 2014 un appareil sécuritaire afghan crédible et fiable, capable de tenir le terrain reconquis et d'assurer la sécurité du pays après le retrait des troupes étrangères".
Washington a dépensé plus de 20 milliards de dollars pour la formation et l'équipement des 340 000 hommes des forces de sécurité afghanes, selon l'agence américaine AP."Aucun Etat au monde n'a tenté de lever une telle armée depuis la deuxième guerre mondiale", souligne sur Franceinfo.fr le général Michael Day, en charge des programmes de formation des militaires afghans. Résultat : "Il y a eu une montée en puissance incontestable, constate Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS, membre du Centre d'études de l'Inde et de l'Asie du Sud. Notamment en termes d'effectif."
Le problème, explique Serge Michailof, c'est qu'une armée fiable "implique qu'elle soit non corrompue, et surtout non infiltrée par les talibans. Ce n'est pas le cas." Mais pour Jean-Luc Racine, la principale faiblesse de cette armée est structurelle : "C'est une armée où les Pachtounes sont peu présents alors qu'ils représentent près de 40% de la population, l'essentiel des talibans et un relais traditionnel avec l'incoutournable Pakistan."
Infiltrations des talibans et défiance entre troupes alliées
Alors que des attaques identiques ont eu lieu dix jours auparavant, le chef d'état-major de l'armée américaine, Martin Dempsey, a souligné jeudi 23 août la responsabilité des infiltrations de talibans dans ces attaques. Une responsabilité confirmée par les talibans eux-mêmes : "Avant, nous attaquions l'Isaf lors d'attentats suicides, ce qui n'était pas toujours à notre bénéfice. Nous perdions des hommes. Maintenant, les combattants veulent prendre leur revanche en face à face", a commenté Qaïs Yousef Ahmadi, leur porte-parole, selon Libération.
Mais il faut souligner aussi les rapports conflictuels entre les deux armées. "Il y a des sentiments profonds d'animosité et de méfiance entre les forces locales et américaines", indique un rapport interne de l'Isaf (PDF en anglais), repris par le New York Times (article en anglais) en juin 2011. Même défiance du côté afghan : "Les soldats américains n'écoutent pas, ils sont trop arrogants", témoigne un soldat. "Ils se fâchent à cause de leurs pertes, de sorte qu'ils s'en prennent à des civils afghans, ils sont lâches au combat, nous sommes toujours à l'avant-ligne", complètent les autres, en citant également les scandales "des corans brûlés" ou "des militaires qui ont uriné sur des cadavres afghans". Quant aux Américains, ils sont tout aussi cinglants à l'encontre de leurs confrères afghans, qu'ils considèrent comme des "voleurs, des menteurs et des drogués". Ou pire, "des infiltrés". Et la multiplication des menaces intérieures n'arrange rien. "On peut voir dans ces attaques une stratégie de pourrissement du moral des troupes", détaille d'ailleurs Jean-Luc Racine.
Pour l'ex-officier américain Andrew Exum, c'est le problème numéro un. "L'infiltration en tant que telle est facile à traiter", estime-t-il, cité par USA Today (article en anglais). "Je pense que le pire, si votre stratégie dépend du partenariat avec les forces afghanes, c'est que les relations soient dégradées à ce point. C'est ça, le plus inquiétant."
Un processus de contrôle qui doit faire ses preuves
"Nous n'allons pas réduire la relation étroite avec nos partenaires afghans", a d'abord rappelé à l'agence AP le général de l'Otan Günter Katz, indiquant réfléchir à de nouvelles mesures de sécurité. Obliger les soldats à garder une arme chargée sur eux en permanence, par exemple, comme l'Isaf en a donné l'ordre à ses hommes récemment. Revoir les dossiers des 340 000 soldats et policiers, comme l'a promis le gouvernement afghan mercredi dernier. Mais, comme le fait remarquer Martin Dempsey : "Nous avons déjà un processus de contrôle en huit points qui est en place depuis environ un an. Pourtant, nous n'avons pas encore inversé la tendance."
"La situation afghane dans son ensemble est dans un brouillard particulièrement dense, résume Jean-Luc Racine. En principe, les forces internationales doivent aider l'armée afghane à asseoir son autorité dans le pays avant qu'elles se retirent. Mais l'avenir reste particulièrement incertain."