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Ils partirent moins de 10 et arrivèrent plus de 6 000, vingt ans plus tard. Les chasseurs de particules ont su agréger leurs forces pour construire l'accélérateur et les détecteurs géants nécessaires à leur quête. C'est dans une euphorie comparable à celle d'aujourd'hui que naît l'idée d'un accélérateur géant, le grand collisionneur de hadrons (LHC). Nous sommes en 1984, un peu plus d'un an après la découverte de cousins du boson de Higgs : les bosons W et Z. Le plus gros accélérateur de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), le grand collisionneur électron-positron (LEP), est en construction pour affiner le portrait de ces nouveaux venus.
Mais déjà son successeur, le futur LHC, est évoqué pour occuper le même tunnel souterrain. L'un des héros de l'époque, l'Italien Carlo Rubbia, Prix Nobel de physique en 1984, croit en cette voie. "En 1989, Rubbia, devenu le directeur du CERN, me convoque avec deux autres collègues pour définir quoi faire dans le tunnel du LEP", se souvient Daniel Denegri, physicien au CERN, à propos de l'expérience CMS. "C'est lui qui a eu le courage de lancer ce projet aussi extrême, autour d'une technologie que personne n'avait jamais essayée. C'était un risque énorme", ajoute M. Denegri.
En outre, l'idée est lancée alors que les Etats-Unis, piqués au vif par les Européens qui leur ont volé la vedette avec les bosons W et Z, sont engagés dans un projet démesuré d'accélérateur, le Superconducting Super Collider (SSC), de près de 90 kilomètres de circonférence. Mais les coûts dérivent et le géant est abandonné en 1993 en pleine construction. Le concurrent européen a la place libre et promet des économies par la réutilisation du tunnel et par une énergie visée moins élevée notamment.
PHASE DIPLOMATIQUE
"Ce fut alors aussi une entreprise diplomatique et scientifique", se remémore M. Denegri. Les Allemands souhaitant par exemple réduire leur participation, et augmenter celle des Suisses et des Français qui bénéficient de plus de retombées socio-économiques. Le 16 décembre 1994, la construction du LHC est effectivement lancée par le CERN. Les Etats-Unis, l'Inde et le Japon, convaincus par des chercheurs envoyés comme des représentants de commerce, rejoignent l'aventure. Ni la participation allemande ni celle des Britanniques ne seront diminuées spécifiquement.
Les travaux s'accélèrent. Jusqu'en 2000, les prototypes sont construits pour valider les technologies. Non sans mal, là aussi. Des huit expériences candidates au départ il n'en reste que quatre, certaines équipes étant obligées de s'allier à d'autres pour atteindre les objectifs. "Notre collaboration a failli voir le départ de certains membres lorsque nous avons décidé de changer un certain type de détecteurs. Mais nous avons tenu", rappelle M. Denegri. Fin 1999, des rumeurs de détection de boson de Higgs au LEP font hésiter sur la prolongation de l'exploitation, au détriment donc du LHC. Mais la direction du CERN tranche en faveur du grand successeur.
Les années 2000-2008 sont consacrées à l'assemblage de ces cathédrales de métal. "La descente de la partie centrale de CMS et ses 2 500 tonnes a pris douze heures. C'était spectaculaire et stressant. Comme le lancement d'un navire", se souvient encore M. Denegri. Début septembre 2008, le bateau est fin prêt, avec deux-trois ans de retard. Hélas, une de ses parties explose dix jours plus tard, à la suite d'un violent court-circuit. Les travaux de réparation et de renforcement dureront un an et l'énergie des collisions sera réduite de moitié.
Depuis, tout tourne et, sur chacune des expériences Atlas et CMS, 3 000 physiciens scrutent l'infiniment petit. "C'était impensable de réaliser cette machine à l'époque. Il fallait concevoir des détecteurs capables d'enregistrer 10 000 fois plus d'événements que les précédents", rappelle M. Denegri, visiblement encore impressionné par cette "machine magnifique".
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