Peut-on critiquer les religions ? Certainement oui. Peut-on les critiquer sans limites ? Certainement pas. C’est un équilibre à trouver, et voici la méthode qui ressort de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le texte
La base est l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés :
1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Bref, un principe et des limites, avec cette belle formule : « l'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités ».
Principe général
La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (Handyside, 7 décembre 1976 ; Fressoz et Roire [GC], 21 janvier 1999).
Cette approche n’était pas traditionnelle pour le droit français. La loi sur la presse, de 1881, donne le cadre avec les infractions d’injure, de diffamation et de provocation à la haine, et la jurisprudence fixait assez vite la limite avec l’expression d’idées pouraves, qui « heurtaient, choquaient ou inquiétaient ». L'évolution vers la liberté a été très lente, comme l’a montré la condamnation de la France dans l’affaire Aussaresses, le 15 janvier 2009 (n° 20989/05). Cet ancien général tortionnaire en Algérie avait publié ces mémoires pour dire ce qu’il avait fait et pour le défendre sans exprimer le moindre remord. La Cour de cassation avait confirmé la condamnation, non pour le témoignage, mais pour ce manque de distance, et la CEDH a répliqué que cette absence de regret faisait partie du témoignage, et qu’il était d’intérêt général qu’il soit entendu dans toute sa sincérité.
Une liberté très grande, donc, mais pas sans limite.
Application en matière religieuse
Pour fixer les limites, la référence est le paragraphe 2 de l'article 10 : les devoirs et responsabilités.
Parmi eux, dans le contexte des croyances religieuses, peut légitimement figurer l'obligation d'éviter des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et profanatrices. Il en résulte qu'en principe on peut juger nécessaire de sanctionner des attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse (Otto-Preminger-Institut, 20 septembre 1994, § 49, et Murphy c. Irlande,10 juillet 2003, § 67).
Par ces deux arrêts, la cour a ainsi posé le fondement des limites en matière religieuse : attaques gratuitement offensantes et profanatrices, contre ce qui relève de la vénération religieuse. La base est ainsi certaine, mais tout va se jouer dans les modalités d’appréciation.
Modalités d’appréciation
La part pour l’Etat…
En examinant si les restrictions aux droits et libertés garantis par la Convention peuvent passer pour « nécessaires dans une société démocratique », la Cour a maintes fois déclaré que les Etats contractants jouissent d'une marge d'appréciation certaine mais pas illimitée (Wingrove, 25 novembre 1996, § 53). Le manque d'une conception uniforme, parmi les pays européens, des exigences afférentes à la protection des droits d'autrui s'agissant des attaques contre des convictions religieuses, élargit la marge d'appréciation des Etats contractants, lorsqu'ils réglementent la liberté d'expression dans des domaines susceptibles d'offenser des convictions personnelles intimes relevant de la morale ou de la religion (Otto-Preminger-Institut, § 50 ; Wingrove, § 58, et Murphy, § 67).
Un Etat peut donc légitimement estimer nécessaire de prendre des mesures visant à réprimer certaines formes de comportement, y compris la communication d'informations et d'idées jugées incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d'autrui (Otto-Preminger-Institut, § 47).
Et le contrôle de la Cour
La Cour doit statuer sur la compatibilité de la restriction avec la Convention et elle le fait en appréciant, dans les circonstances de la cause, notamment, si l'ingérence correspond à un « besoin social impérieux » et si elle est « proportionnée au but légitime visé » (Wingrove, § 53, et Murphy, § 68).
Pour ce faire, la Cour doit mettre en balance des intérêts contradictoires tenant à l'exercice des deux libertés fondamentales : d'une part, le droit, pour le requérant, de communiquer au public ses idées sur la théorie religieuse, et, d'autre part, le droit d'autres personnes au respect de leur liberté de pensée, de conscience et de religion (Otto-Preminger-Institut, § 55).
Pluralisme, tolérance et esprit d'ouverture caractérisent une « société démocratique » (Handyside, § 49), et ceux qui choisissent d'exercer la liberté de manifester leur religion, qu'ils appartiennent à une majorité ou à une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s'attendre à le faire à l'abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi (Otto-Preminger-Institut, § 47).
La Cour fait par exemple la différence entre des propos qui heurtent ou qui choquent, et des attaques contre des symboles vénérés ou des convictions intimes lorsqu’elles sont injurieuses, ceci entendues comme injustifiées et offensantes (İ.A. c. Turquie, 13 septembre 2005, n° 42571/98, § 29). La CEDH tient compte aussi de la sanction prononcée, qui dans cette affaire avait été une amende pénale modérée et non une interdiction de publication. L'essentiel est que le droit soit dit, dans un esprit d'équilibre, et que chacun en tire les conclusions.
La base est l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés :
1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Bref, un principe et des limites, avec cette belle formule : « l'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités ».
Principe général
La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (Handyside, 7 décembre 1976 ; Fressoz et Roire [GC], 21 janvier 1999).
Cette approche n’était pas traditionnelle pour le droit français. La loi sur la presse, de 1881, donne le cadre avec les infractions d’injure, de diffamation et de provocation à la haine, et la jurisprudence fixait assez vite la limite avec l’expression d’idées pouraves, qui « heurtaient, choquaient ou inquiétaient ». L'évolution vers la liberté a été très lente, comme l’a montré la condamnation de la France dans l’affaire Aussaresses, le 15 janvier 2009 (n° 20989/05). Cet ancien général tortionnaire en Algérie avait publié ces mémoires pour dire ce qu’il avait fait et pour le défendre sans exprimer le moindre remord. La Cour de cassation avait confirmé la condamnation, non pour le témoignage, mais pour ce manque de distance, et la CEDH a répliqué que cette absence de regret faisait partie du témoignage, et qu’il était d’intérêt général qu’il soit entendu dans toute sa sincérité.
Une liberté très grande, donc, mais pas sans limite.
Application en matière religieuse
Pour fixer les limites, la référence est le paragraphe 2 de l'article 10 : les devoirs et responsabilités.
Parmi eux, dans le contexte des croyances religieuses, peut légitimement figurer l'obligation d'éviter des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et profanatrices. Il en résulte qu'en principe on peut juger nécessaire de sanctionner des attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse (Otto-Preminger-Institut, 20 septembre 1994, § 49, et Murphy c. Irlande,10 juillet 2003, § 67).
Par ces deux arrêts, la cour a ainsi posé le fondement des limites en matière religieuse : attaques gratuitement offensantes et profanatrices, contre ce qui relève de la vénération religieuse. La base est ainsi certaine, mais tout va se jouer dans les modalités d’appréciation.
Modalités d’appréciation
La part pour l’Etat…
En examinant si les restrictions aux droits et libertés garantis par la Convention peuvent passer pour « nécessaires dans une société démocratique », la Cour a maintes fois déclaré que les Etats contractants jouissent d'une marge d'appréciation certaine mais pas illimitée (Wingrove, 25 novembre 1996, § 53). Le manque d'une conception uniforme, parmi les pays européens, des exigences afférentes à la protection des droits d'autrui s'agissant des attaques contre des convictions religieuses, élargit la marge d'appréciation des Etats contractants, lorsqu'ils réglementent la liberté d'expression dans des domaines susceptibles d'offenser des convictions personnelles intimes relevant de la morale ou de la religion (Otto-Preminger-Institut, § 50 ; Wingrove, § 58, et Murphy, § 67).
Un Etat peut donc légitimement estimer nécessaire de prendre des mesures visant à réprimer certaines formes de comportement, y compris la communication d'informations et d'idées jugées incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d'autrui (Otto-Preminger-Institut, § 47).
Et le contrôle de la Cour
La Cour doit statuer sur la compatibilité de la restriction avec la Convention et elle le fait en appréciant, dans les circonstances de la cause, notamment, si l'ingérence correspond à un « besoin social impérieux » et si elle est « proportionnée au but légitime visé » (Wingrove, § 53, et Murphy, § 68).
Pour ce faire, la Cour doit mettre en balance des intérêts contradictoires tenant à l'exercice des deux libertés fondamentales : d'une part, le droit, pour le requérant, de communiquer au public ses idées sur la théorie religieuse, et, d'autre part, le droit d'autres personnes au respect de leur liberté de pensée, de conscience et de religion (Otto-Preminger-Institut, § 55).
Pluralisme, tolérance et esprit d'ouverture caractérisent une « société démocratique » (Handyside, § 49), et ceux qui choisissent d'exercer la liberté de manifester leur religion, qu'ils appartiennent à une majorité ou à une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s'attendre à le faire à l'abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi (Otto-Preminger-Institut, § 47).
La Cour fait par exemple la différence entre des propos qui heurtent ou qui choquent, et des attaques contre des symboles vénérés ou des convictions intimes lorsqu’elles sont injurieuses, ceci entendues comme injustifiées et offensantes (İ.A. c. Turquie, 13 septembre 2005, n° 42571/98, § 29). La CEDH tient compte aussi de la sanction prononcée, qui dans cette affaire avait été une amende pénale modérée et non une interdiction de publication. L'essentiel est que le droit soit dit, dans un esprit d'équilibre, et que chacun en tire les conclusions.
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La rédaction