mercredi 14 novembre 2012

LE RACISME ANTIMUSULMAN A L'HEURE DU RECUL DU DROIT

L'islamophobie, notamment en Europe, est aujourd'hui le symptôme d’une société qui va de mal en pis. Ce qui est en jeu, c’est le droit, la morale et la démocratie, pas seulement le sort des Musulmans.
LE RACISME ANTIMUSULMAN  A L'HEURE DU RECUL DU DROIT
Dans les pays de tradition chrétienne, les polémiques virulentes qui touchent aujourd'hui les divers courants politiques au sujet des citoyens musulmans sont hautement alarmantes. En France notamment, le traitement de la spécificité musulmane fait l’objet d’une instrumentalisation politicienne dégradante. Des rites alimentaires calomniés à la récusation du voile, du soutien quasi officiel aux caricatures insultantes à la campagne contre les prières de rue et au « grand débat sur l’islam ». Tout se passe comme si on voulait rendre l'islam invisible et inodore – voire indolore. Pour bien entériner ce climat hostile, voilà que les autorités ont décidé (avril 2011) de fermer l’IFESI (Institut français d’Etudes et de Sciences Islamiques), pour « des raisons de sécurité ».  
L'islamophobie progresse, se durcit
Ici et là, les conversions à l'islam sont légion. « C'est un fait connu qu'aux Etats-Unis, en Europe et dans le monde entier l'islam est la religion dont l'expansion est la plus rapide ». (1) Y a-t-il lieu de s'en inquiéter, de se mobiliser pour y mettre le holà ?
Les grands noms du gotha de l’extrême droite européenne se rencontrent, avec l'assentiment du pouvoir, pour débattre des dangers d’une Europe « en voie de s’halaliser ». La France de Sarkozy et de Hollande vire doucement vers une islamophobie décomplexée, qui fait revenir à l'esprit les pires moments de son histoire. Les rafles au faciès et la chasse aux porteuses de foulard ne font-elles pas penser au sort subi par les Juifs sous Pétain, par les Algériens sous Papon ? Voilà que l'ultra sioniste Valls appelle à la dénonciation contre « les dérives de l'Islam ». Il « préfère menacer, interdire et réprimer. Il perpétue ainsi une logique coloniale dans laquelle deux humanités ontologiquement différentes ont des droits distincts : "liberté d’expression" pour les occidentaux, injonction au silence pour les autres ». (2) Ch. Chitour s'interroge : « Ne sommes-nous pas en train de voir se profiler une version revue et corrigée d’un néo-maccarthysme ? ». (3)
Par les temps qui courent, les citoyens musulmans en Europe sont au quotidien l'objet de regards hostiles, de propos injurieux, de discriminations et persécutions multiples. M. Tubiana écrit : « Assignés à résidence communautaire, ils [les Français musulmans] sont toujours désignés par leur origine (immigrés de la deuxième, troisième ou, bientôt, quatrième génération) ou par leur appartenance religieuse. Les Musulmans français ou pas sont sommés de faire leur examen de conscience et de répondre de nos peurs collectives ». (4) Cette frange de la population subit une politique de deux-poids-deux-mesures impudente. Les autorités entendent poursuivre pénalement toute personne consultant un site « jihadiste », lutter contre le « prosélytisme » au sein des prisons et vont jusqu'à prohiber toute dénonciation des menées islamophobes. S'il faut, à juste titre, s’opposer avec fermeté aux exercices militaires en situation irrégulière, pourquoi accepter que des éléments d’extrême droite reçoivent un entrainement au sein de l’armée américaine pour ensuite commettre des agressions sur le sol national ? F. Hollande a dit récemment : « chaque fois qu'un juif est pris pour cible en tant que juif Israël est concerné ». (5) Et s'il s'agit d'un Musulman ?...
Le ressentiment des Musulmans est bel et bien fondé. « Pour en comprendre l’origine, il faut sans doute accepter de quitter quelques instants le confort de l’inusable référence au "salafisme" ou au "jihadisme" de cette poignée de jeunes ou de moins jeunes qui semblent vouloir claquer la porte de la République. Et considérer plus courageusement le profond déficit de représentation dont souffre la communauté musulmane de France ». (6)
L'acharnement antimusulman connaît un regain sans précédent ; il progresse, s’épanouit, s’exprime en toute bonne conscience. Tel parti politique joue la carte islamophobe pour monter dans les sondages. On est au Front national parce que, pour l'essentiel, on est contre les Musulmans. « Les propos qu’on tenait sous le manteau il y a quelques années émergent aujourd’hui dans la sphère publique ». (7) La porte est grande ouverte à la surenchère. Dans cette escalade, il faut voir le résultat de dix ans de banalisation d’un discours de rejet et de haine.
En France, selon les chiffres communiqués par le baromètre annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), il y a eu en 2011 une « hausse de la méfiance à l’égard des Musulmans » : 51 % des sondés ont estimé que les Musulmans formaient « un groupe à part » (+ 6 points par rapport à 2009) et 59 % qu’il y avait trop d’immigrés en France (+ 12 points). (8) Un biais insidieux altère immanquablement les résultats obtenus. Parler de « communauté musulmane », c'est suggérer que les Musulmans n’appartiennent pas, ou pas vraiment à l'entité nationale. Demander à l'enquêté si « la présence musulmane est-elle plutôt une menace ? », revient à l'inquiéter, à jeter le trouble et donc à donner corps à ladite menace. Ainsi, les sondages peuvent indubitablement susciter les partis pris et la ségrégation.
Considérons le cas du visa Schengen. Les critères effectifs de choix des pays relèvent bel et bien de l’islamophobie institutionnelle. Sont dispensés du visa les « pays amis », ceux de peuplement blanc et réputés chrétiens. L'Europe entend se préserver de l'ébranlement des identités nationales par un « islam conquérant » (comme d'ailleurs par une « négritude envahissante »). Selon E. Miguel, « l’idéologie du visa Schengen […] est une idéologie de guerre. Elle constitue un nouveau syndrome des fléaux et crimes contre l’humanité, dont historiquement est coutumière l’Europe comme l’inquisition ou autres guerres de religions, l’esclavagisme transatlantique, le colonialisme, l’impérialisme, les guerres mondiales, les pogroms, les déportations… ». (9)
Tartufferies, perte des valeurs
L'animosité et la malveillance à l'égard de « ces gens qui ne sont pas comme nous » persisteront tant qu’on n’aura pas mis le doigt sur la source principale du problème : l'ignorance. Comment s'y prendre avec des opinions publiques désinformées, souvent fanatisées ? Comment expliquer que l’intégrisme est un contre-exemple de l’islam, que les signes extérieurs ne sont pas le substrat religieux ? V. Geisser affirme : « Aujourd’hui, l’islam n’est plus considéré comme l’ennemi de la chrétienté mais plutôt comme l’ennemi de la modernité, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, etc. Nous sommes passés d’une peur ancienne à une peur moderne, d’un racisme avec des présupposés religieux, à un racisme avec des présupposés dits modernistes. » (10) On s'adresse au Musulman avec arrogance, comme s’il ne pouvait accéder à la dignité que s’il s’occidentalise sans conditions.
De plus en plus, les gens se lâchent, sont prêts à dire tout et n’importe quoi sans tabous. Il en est ainsi de ce jugement à l'emporte-pièce : « le problème c’est que ces pays [musulmans] ne sont jamais libres tant qu’ils se réfèrent à l’islam, car l’islam porte en lui le germe de la soumission. On ne peut pas être libre et soumis en même temps ». (11) Mais E. Dermenghem fait état d'un autre son de cloche : « Dire "Dieu est le plus grand", c'est fermer la porte à toute servitude. C'est se proclamer et se réaliser fondamentalement libre ». (12) L. Gardet, dans ce sens, disait il y a trente ans : « La remise active de soi à Dieu, sans réserve et en toute confiance, qui est le sens le plus vrai et le plus intérieur du mot islam lui-même, peut et doit être comme un ferment sans cesse activé d'humanisme musulman. Vouloir s'aligner sur une certaine notion moderne de l'exercice de la liberté, conçue comme une liberté sans frein et sans limite, pour le mal comme pour le bien, serait pour la pensée musulmane se renier elle-même. Quand Dieu n'existe pas, tout est permis… ». (13)
En France, en janvier dernier, une proposition de loi a été votée au Sénat, visant à priver de travail les assistantes maternelles de confession musulmane. Une nouvelle attaque contre une catégorie de population a lieu sous couvert de « laïcité » et de « neutralité ». L'argument est mis en avant curieusement dans une république où les attributs de l’Eglise ont été laïcisés (dans les 11 jours chômés de l’année, 9 sont à caractère religieux). 
La grande Europe a peur des petites filles voilées ; un morceau de tissu la met en émoi…Qu'importe que les personnes concernées aient raison ou pas de se couvrir la tête ? A cet égard, une précision s'impose : nulle part dans le Coran, il n’est fait explicitement mention de voile (hijab) recouvrant le visage, cachant les cheveux (encore moins tout le corps). M. Kacimi en dit ceci : « Cette croyance était si répandue dans les pays d’Orient, notamment en Mésopotamie, qu’elle a fini par avoir force de loi. Aussi, le port du voile est-il rendu obligatoire dès le XIIe siècle avant J.-C. […]. Il faudra attendre l’avènement du christianisme pour que le voile devienne une obligation théologique, un préalable à la relation entre la femme et Dieu ». (14)
Dans le contexte actuel, lorsqu'on parle de laïcité, il faut souvent comprendre islamophobie. Désormais, l'imposture est manifeste.  Non seulement l'argument a l'air imparable, mais il drape la xénophobie d'un halo de respectabilité. Le site Afrik.com a posé la question de savoir si la finance islamique est « une atteinte à la laïcité ». Z. Ben Terdeyet a répondu : « Généralement, ses détracteurs n’ont aucune connaissance du sujet et focalisent sur le mot "islamique" qui a été galvaudé en France. C’est une manière de faire de la finance autrement. Elle s’adresse à tous les Français, sans aucune distinction quant à la religion, l’origine ethnique ou sociale. Elle entre uniquement dans la sphère privée du citoyen en tant que nouveau choix de mode de consommation, car de quoi parle-t-on finalement ? Il s’agit de proposer des produits de financement pour l’accession à la propriété ou l’achat de biens de consommation tels que la voiture ou l’électroménager ». (15)
L'hostilité islamophobe se niche derrière un autre argument : « la défense de la liberté d'expression ». Encore là, les tartufferies sont flagrantes. En France notamment, que dit la loi de 1905 ? « Elle dit que nous sommes libres. Libres de choisir en conscience notre religion et de la vivre comme bon nous semble, sans faire de prosélytisme et sans devoir la cacher ou la renier dans la sphère publique. Libres de s’habiller comme il nous plait, de porter une barbe ou de se couvrir la tête si on le souhaite ». (16) Manifestement, on est loin du compte… La « liberté d’expression » chantée par les médias occidentaux est perçue, de plus en plus et à juste titre, comme la liberté d’insulter l’islam et les Musulmans. Sinon, quel sens a-t-elle, dans un Etat de droit, lorsqu'elle sert de prétexte à la stigmatisation et à l’incitation à la haine religieuse ?
Le racisme antimusulman, notamment en Europe, est aujourd'hui le symptôme d’une société qui va mal. Ce qui est en jeu, tout compte fait, c’est la démocratie, pas seulement le sort des Musulmans. Comme le note M. Cherif, « l’islam réintroduit le débat de fond, celui sur la question du sens et de la justice, dans une société qui a besoin d’équilibre, car malgré les prodigieux progrès technoscientifiques se profile la déshumanisation. C’est l’ère de la dégradation intellectuelle, du recul du droit, de la crise de la modernité européenne ». (17)
Thami BOUHMOUCH
Novembre 2012
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(7) Vincent Geisser (entretien), http://www.michelcollon.info/Vincent-Geisser-Lutter-contre-l.html    Juin 2011
(10) Vincent Geisser (entretien), op. cit.
(12) Emile Dermenghem, cité par Marcel Boisard, in Marc Agi (sous la dir.), Islam et droits de l'homme, éd. Des idées et des hommes, éd. Des idées et des hommes, 2007, p. 67. 
(13) Louis Gardet, Ouvrir les frontières de l'esprit, in Marc Agi, op. cit., p. 112.
(15)  Zoubeir Ben Terdeyet (entretien), http://www.afrik.com/article19443.html   Avril 2010.

 Thami BOUHMOUCH


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