Dès son adolescence, le Joseph biblique fut soucieux du problème des soubassements économiques de la société humaine. C’est pourquoi il rêve d’épis : «Joseph eut un songe et le conta à ses frères: ‘Nous composions des gerbes dans le champ, soudain ma gerbe se dressa, elle resta debout; et les vôtres se rangèrent à l’entour et s’inclinèrent devant la mienne’»(Genèse 27, 7).
Joseph témoigne ainsi de sa domination certaine du sujet, et ce n’est aucunement une coïncidence si, une fois en Egypte, il devient le grand intendant du «ministre des abattoirs» – en fait, le distributeur de nourriture pour l’Egypte tout entière.
Même en prison, derrière les coulisses de l’Histoire, Joseph poursuit et se consacre à l’organisation du travail et des assises économiques de la communauté humaine.
Il traduit les rêves du grand panetier et du grand échanson et lorsque plus tard, il se retrouve face au Pharaon, aussitôt il lui expose un plan de réaménagement de l’Egypte, mû non pas par une quelconque doctrine des fondements économiques en temps de crise, mais par D.ieu Lui-même. Le projet économique de Joseph s’achèvera par une politique de planification agraire du royaume d’Egypte, laquelle, en fin de compte, a façonné l’économie du monde antique dont l’Egypte était la charnière.
La Torah énonce avec une grande profusion de détails les choix économiques de Joseph durant ces années de calamité : la concentration des biens monétaires, l’acquisition du cheptel, l’achat des terres, le transfert des populations vers les villes, le système d’imposition, etc. Or ce programme a épargné du désordre et de la confusion non seulement l’Egypte, mais toute la communauté humaine de cette époque. «L’opération Joseph» parvient à créer des conditions plus justes et plus morales puisque les issues aux diverses difficultés de la société proviennent de D.ieu.
Grâce à elles, l’intelligence divine a pu s’introduire dans le monde de la matérialité. Le vocable moderne nous révèle que le sens socio-économique de la démarche de Joseph doit se comprendre comme une économie centraliste.
En effet, il centralise et concentre les moyens de production en les nationalisant pour les redistribuer ensuite de manière appropriée et égalitaire.
Il ne procède ni au marché centralisé à l’extrême, ni à une économie libérale, mais tend vers une ingérence qui ambitionne une plus grande probité distributive. Au tout début, Joseph rassemble le fond monétaire égyptien, puis le bétail, et enfin il nationalise les terres, faisant disparaître ainsi la propriété privée.
Après la nationalisation des biens de production, il fait déménager le peuple vers les villes, et cet abandon contraint du milieu rural casse l’antique attache de la population à la terre et autorise une nouvelle structure socio-économique. Il procède alors à un nouvel ordre des moyens de production dont les usagers auront la totale responsabilité. Cette régionalisation subséquente permet ainsi la pérennité physique de la société. La prospérité de l’Etat sera ultérieurement réalisable grâce à une formule d’imposition moderne: 20% des revenus sont aussitôt transférés au royaume, les agriculteurs conservant 80% bien qu’ils œuvrent sur des terres, propriétés de l’Etat.
Le peuple égyptien proclame alors sa pleine gratitude envers Joseph: «Tu nous rends la vie! Puissions-nous trouver grâce auprès de mon seigneur et nous resterons serfs de Pharaon» (Genèse 47, 25).
Le peuple est disposé à abandonner sa liberté et à vivre dans des conditions de dépendance totale envers son souverain, mais Joseph repousse cette offre.
Certes, «il acquiert tout le sol de l’Egypte au profit de Pharaon», mais «acquérir» des êtres humains pour les rendre esclaves est en profonde opposition avec les vertus de justice et de moralité qu’il désire établir parmi les hommes.
« Celui qui engage des ouvriers et leur dit de commencer tôt et de finir tard ne saurait les y obliger, si commencer tôt et finir tard n’est pas conforme à la coutume de l’endroit. Là où la coutume veut qu’on les nourrisse, il est obligé de les nourrir; là où elle veut qu’on leur serve du dessert, il doit leur servir du dessert. Tout se conforme à la coutume de l’endroit.
Un jour, Rabbi Yohanan ben Mathia dit à son fils : «Va, engage des ouvriers». Celui-ci a inclus la nourriture parmi les conditions. Quand il revint, le père dit: «Mon fils, même si tu leur préparais un repas égal à celui que servait le roi Salomon, tu ne serais pas quitte envers eux, car ce sont les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Tant qu’ils n’ont pas commencé le travail, va et précise: vous ne pourrez prétendre qu’au pain et aux légumes secs».Rabban Shimon ben Gamliel dit: «Il n’avait pas à le dire, car, en toutes choses, on se règle d’après la coutume de l’endroit ». (Traité de baba metsia)
Admirable attention portée au dessert, la nourriture y est subsistance. Nulle parole même provocante ne peut abîmer ces propos qui protègent incontestablement l’être humain, humanisme véritable, humanisme matérialiste.
Les cœurs s’épanchent aisément pour la classe ouvrière, les porte-monnaie plus douloureusement, ce qui s’entrouvre le plus péniblement, ce sont les portes de nos propres foyers.
La Michna témoigne du droit de la personne, comme l’assurait le marxisme humaniste, celui qui proclamait que l’homme est le bien suprême pour l’homme lorsqu’il est réellement homme et que celui ci cherche à savoir pourquoi l’homme, ami de l’homme, a pu, dans des situations définies, devenir l’ennemi de l’autre?
La seule combinaison d’une économie de marché abandonnée à son exclusive dynamique expliquerait-t-elle une telle malversation, véritable aberration où l’homme deviendrait son propre ennemi?Notre Texte exige une limitation aux caprices de l’économie ainsi qu’à son aliénation, il nous faut préciser d’autre part que la profession de foi où se place la Michna est symptomatique de l’humanisme juif. Défendre les droits de l’homme, c’est d’abord ceux de l’autre homme, ce n’est pas originellement moi, ce n’est pas la notion «d’homme» qui est le fondement de cet humanisme, c’est «l’autre».
Voici donc un certain nombre d’informations sur les vastes territoires du droit d’autrui: c’est une justice quasiment illimitée où je ne parviendrais pas à réaliser mes devoirs même si je possédais les richesses du roi Salomon. La Michna stipule une clause restrictive, il est question «d’autrui» qui descend d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, tranquillisez-vous, nulle pensée chauvine ici.
Dès que le nom d’Israël est rappelé dans le Texte talmudique, on doit incontestablement appréhender par là «le peuple d’Israël» qui, en fait, réalise une destinée unique mais aussi limitée: la vérité de la conception exprimée dans le Texte talmudique. Levinas dit: «On aura oublié qu’Israël signifie Peuple ayant reçu la Loi et, par conséquent, une Humanité arrivée à la plénitude de ses responsabilités et de sa conscience de soi». Les enfants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, c’est l’Humanité qui n’est plus infantile.
Évoquons la tradition biblique et talmudique concernant Abraham, père des croyants et surtout le Patriarche qui sut accueillir et nourrir des hommes, celui dont la tente demeura ouverte aux quatre vents. Depuis ces entrées, il surveillait les passants quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent afin de les recevoir et de leur offrir un repas.
Nous connaissons l’un des menus proposés, par l’hôte, aux trois anges sans qu’il ne soupçonne à aucun moment leur véritable identité car bien sur, pour recevoir dignement des anges Harpagon lui-même aurait mis les bouchées doubles!
Abraham considère les trois passants comme des bédouins, trois nomades du désert du Néguev, il se précipite à leur rencontre en courant et les hèle par un «Messeigneurs». Les légitimes descendants d’Abraham sont ces hommes à qui le patriarche attribua une rude tradition de valeurs à l’égard d’autrui que l’on ne cesse de pratiquer, un enseignement dont on ne se sépare jamais mais où la responsabilité devient obligation à l’attention du corps, l’impératif de nourrir et de recevoir.
Ainsi inspirée, la filiation d’Abraham pourrait être de toute nation car tout Homme réellement «Homme» serait éventuellement de la descendance d’Abraham.
Raison pour laquelle Rabbi Yohanan ben Mathia est anxieux vis-à-vis de ce contrat établi par son fils et qui parait le satisfaire pleinement. «Il me sera impossible», dit il, «de faire face aux impératifs que tu as pris, même en fournissant aux ouvriers engagés les repas du roi Salomon, je ne pourrais aucunement m’acquitter envers eux et resterais redevable à jamais!»
La Bible relate à quel point les banquets donnés par le roi Salomon au peuple étaient inouïs
et dénombre la quantité de bétail abattu à cet effet. L’étendue des devoirs à l’égard des hommes totalement « Hommes » n’a pas de limites, comme le signifiait le propos du Rabbin lithuanien Israël Salanter: «les besoins matériels de mon prochain sont des besoins spirituels pour moi».
La lignée d’Abraham possède une qualité de l’être qu’il est difficile de retrouver dans les promesses de l’Etat et les progrès politiques de l’Humanité, certes on se doit d’octroyer, mais de quelle manière? Il apparaît donc évident au travers cette analyse textuelle que tout s’engage par le droit de l’autre et par mon devoir illimitée à son égard, l’Humain est au-dessus des forces humaines.
Les enfants d’Israël sont programmés à cette exigence et sont suffisamment matures pour réaliser «l’Alliance». En conséquence le père dit au fils: «Détermine immédiatement l’idéal que tu as débridé; stoppe tout et définis les clauses. Hâte-toi de sceller les conditions du contrat avant que les travailleurs ne besognent car une fois la tâche entamée, je deviendrais redevable jusqu’à la fin de mes jours».
Le repas paraît menu bien qu’il soit varié, la Guemara questionnera plus loin: « pain et légumes secs» ou « pain de légumes secs»? En Hébreu, il suffit d’effacer une seule lettre – le vav – pour annuler la conjonction, et découvrir une nouvelle formule indiquant «pain de légumes secs».
Cette conjonction est essentielle, elle est aussi indispensable ici que la boussole est vitale pour diriger ses pas sur des chemins inconnus. Son absence nous mènerait droit au désastre.
Nous devons naturellement, même lorsqu’un accord délimite l’incommensurable de nos devoirs, que la frontière elle-même soit localisée, je veux dire que nourrir autrui c’est garantir à la nourriture la propriété de repas; ce n’est jamais la transformer en minimum vital. En alimentant autrui nous devons louer et rassasier, de quelque manière qui soit, son envie; sinon c’est l’échec.
Un être humain meurt de faim toutes les 4 secondes, ce qui fait 25000 chaque jour, plus d’un milliard d’êtres humains vivent dans la famine… tandis que dans le monde occidental d’autres jettent à la poubelle 50% de la nourriture qu’ils achètent au supermarché.
Pour exemple, au Royaume-Uni, 1/3 de la nourriture achetée n’est pas consommée.
Rien qu’aux Etats-Unis, les pertes dans le système de distribution sont estimées à environ 100 milliards de dollars par an.
A titre de comparaison, les besoins du Programme Alimentaire Mondial, qui vient au secours des populations souffrant de la faim, se sont élevés à 3,5 milliards de dollars.
Chaque jour la Terre accueille 200.000 êtres humains.
D’ici 2050 la population mondiale devrait atteindre 9,2 milliards d’habitants. Les chiffres avancés impliquent que d’ici là, il faudra augmenter la production mondiale de 50%.
Le bon sens voudrait que l’on décide de partager la nourriture et que l’on gère l’eau de façon intelligente.
Le monde a un besoin urgent d’une nouvelle agriculture. Nous ne prenons pas la mesure de la gravité du problème et nos intérêts vont ailleurs.
Depuis l’an 2000 les États les plus riches n’ont trouvé que 82 milliards pour mettre fin aux épidémies et à la faim, et pendant ce temps des milliers de milliards de dollars ont été brûlés par la crise financière.
Avec seulement 5% de ce qui a été versé aux banques depuis, on aurait pu améliorer les conditions de vie des pays en souffrance et enrayer la faim sur toute la Planète.
On baigne dans l’absurdité complète.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à une crise alimentaire sans précédent sur la Terre et nous continuons à faire comme si de rien n’était, alors que la tension collective monte de partout
Où êtes vous donc mes pères: Abraham, Joseph, Salomon…? Aidez nous à nous aider!
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La rédaction