Des dizaines de milliards de “super Terre” dans la Voie lactée:
Les astronomes européens viennent de publier une étude statistique remarquable concernant les exoplanètes, ces planètes qui tournent autour d’autres étoiles que le Soleil… Utilisant l’instrument Harps, équipant le télescope de 3,6 mètres de diamètre de La Silla, au Chili, l’équipe de Xavier Bonfils, Xavier Delfosse, Thierry Forveille, Christian Perrier et leurs collaborateurs, a publié dans la revue scientifique Astronomy & Astrophysics la première estimation du nombre de planètes de faibles masses tournant autour des étoiles naines rouges de la Voie lactée, notre galaxie… Les naines rouges sont de petites étoiles, environ dix fois moins massives et mille fois moins brillantes que notre Soleil. Libérant moins d’énergie que les plus grosses étoiles, elles sont plus froides, donc plus rouges, et ont une espérance de vie bien plus longue que leurs cousines plus massives. Une naine rouge peut briller cent milliards d’années… Cette longévité explique que les naines rouges soient si nombreuses dans la Galaxie : leur groupe représente 80 % de la population stellaire totale. L’équipe européenne, essentiellement franco-suisse, a cherché des planètes autour de 102 naines rouges et les a observé cinq cents nuits durant, sur une période de six ans… Au total, neuf « super Terre » ont été trouvées avec le spectrographe ultrasensible Harps, grâce à l’infime mouvement de va-et-vient qu’elles imprimaient à leur étoile. En projetant ce nombre à la Galaxie entière, cela implique qu’il existe des dizaines de milliards, peut-être cent milliards, de « super Terre » autour des naines rouges… Un nombre vertigineux, qui confirme l’estimation haute du nombre total de planètes existant, peut-être, dans la Voie lactée : mille milliards.
Les super Terre, ce sont des astres situés à mi-chemin des planètes rocheuses, comme Mars, Vénus et la Terre, et des planètes gazeuses, comme Uranus, Neptune ou Saturne. De tels astres n’existent pas dans notre propre système solaire mais ils sont légions, donc, dans la Voie lactée. Certaines super Terre sont peut-être essentiellement gazeuses, d’autres sont peut-être recouvertes d’une épaisse atmosphère, ou d’eau liquide, comme Gliese 1214 b… L’équipe de Xavier Bonfils avance, dans son article, que 41 % des super Terre trouvées autour des naines rouges sont situées dans la « zone habitable » de leur étoile, c’est à dire à une distance telle que l’eau liquide pourrait y couler, comme sur Terre, à condition que leurs atmosphères aient la bonne pression et la bonne température. Les termes choisis par les astronomes sont révélateurs : « super Terre » et « habitables », on ne peut être plus clair dans l’intention et l’orientation données aux observations, tournées vers la recherche de la vie sur ces autres mondes…
Or les « super Terre » des étoiles naines rouges découvertes par l’équipe européenne doivent ressembler à peu près à tout, sauf à la Terre… En effet, si l’on ne sait rien des conditions physiques règnant à leur surface, rien de leurs hypothétiques atmosphères, on sait en revanche que ces planètes, très proches de leurs étoiles, sont gravitationnellement « verrouillées », c’est à dire tournent perpétuellement la même face à leur soleil rouge. D’un côté, le jour éternel, de l’autre, la nuit éternelle. Sur l’hémisphère éclairé, faisant face à l’étoile, le flux des rayons X et les éruptions photosphériques fulgurantes, on a connu mondes plus accueillants… Mars, par exemple, toute proche de la Terre, mais dont on ne peut pas dire qu’elle soit un parangon de luxuriance… Pour décider de la présence de vie sur une autre planète, il « suffirait » aux astronomes d’observer attentivement ces astres pour y découvrir des traceurs biologiques, par exemple la présence de chlorophylle à leur surface, ou de gaz, ozone, méthane, sensés être produits par des êtres vivants… Plus facile à dire qu’à faire : depuis une bonne vingtaine d’années, les scientifiques proposent à l’Agence spatiale européenne (ESA) et à sa grande soeur américaine, la Nasa, des missions spatiales dédiées à la recherche de la vie extraterrestre. Ce sont, par exemple, les missions Darwin ou TPF, des réseaux de télescopes spatiaux suffisamment sensibles pour détecter les dits traceurs. Ces missions sont régulièrement repoussées par les instances scientifiques ; trop complexes, trop chères, trop… incertaines ? Les planètes « habitables » découvertes par l’équipe de Harps, comme celles découvertes par leurs collègues américains utilisant le satellite Kepler, sont situées à des dizaines, voire des centaines d’années-lumière de la Terre. Aucun télescope actuel n’est capable de les voir, simplement de les voir : aujourd’hui, il s’agit de simples points sur des courbes photométriques, ou des raies d’absorption dansant dans un spectre. Aucun télescope, dans un avenir prévisible, ne sera capable d’y détecter – si elle existe – une activité biologique, sauf à rêver, pourquoi pas, d’une planète tout à la fois aussi luxuriante que la Terre et située extraordinairement près de nous. Il est à craindre, en fait, que la détection univoque d’une planète « habitée » soit impossible dans les décennies ou les siècles à venir : ces fameux traceurs biologiques jugés irréfutables voici dix ans, sont désormais considérés comme caducs aujourd’hui, en témoigne par exemple, sur Mars, l’émission de méthane qui pourrait tout aussi bien révéler la présence de petits hommes verts bien cachés dans des grottes que, plus prosaïquement, une activité physico chimique… Les « super Terre » « habitables » font rêver, la SF, depuis les années 1950, nous a habitué à imaginer d’autres mondes, de Trantor à Pandora en passant par Tatooine et Dune. L’une des planètes découvertes par l’équipe de Xavier Bonfils a d’ailleurs tout pour faire rêver et fantasmer… Gliese 667 Cc est une super Terre, environ 3,5 fois plus massive que la Terre, tournant en un mois autour de sa naine rouge, Gliese 667 C, laquelle appartient à un système stellaire triple. Située à seize millions de kilomètres de son étoile, portée à 3500 °C, elle reçoit environ 90 % de l’énergie reçue par la Terre. Mieux, à l’échelle astronomique, Gliese 667 Cc est remarquablement proche de la Terre, vingt trois années-lumière « seulement ». Voilà pour le rêve, représenté par un beau paysage imaginaire, publié par l’ESO pour accompagner la découverte de ce monde exotique. Jaugeons maintenant ce rêve à la réalité des observations : Gliese 667 Cc n’a jamais été vue par personne. Aujourd’hui, elle existe sous la seule forme d’un très léger balancement de la trajectoire de son étoile… Une exoplanète telle que Gliese 667 Cc, située à 23 années-lumière de la Terre, présente un diamètre apparent de 0,00001 seconde d’arc environ. Un tel angle est minuscule ; cela signifie que, pour distinguer cette planète comme un minuscule disque lumineux, sans le moindre détail, il faudrait un télescope grossissant six millions de fois, doté d’un miroir de dix kilomètres de diamètre… Pour détecter quelques détails à la surface de cette planète, il faudrait un télescope de cent kilomètres de diamètre. Enfin, pour réaliser in situ une photographie des paysages de la planète éclairée par ses trois soleils, se reflètant sur ses hypothétiques océans, lacs et étangs, où, peut-être s’ébattent et languissent d’immenses créatures reptiliennes, il faudrait y envoyer une sonde dont le voyage durerait, avec les fusées actuelles, un demi million d’années…
La grandeur, et la servitude, aussi, de l’observation du ciel, c’est cela ; si l’astronomie ouvre des champs infinis à l’imaginaire humain, elle leur oppose, aussi, des gouffres abyssaux, peut-être à jamais infranchissables.
Serge Brunier
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